Société

Ennemi public #1 : Le département des plaintes, vraiment?

Non, pas vraiment. Pas tout à fait un département des plaintes comme vous le connaissez, mais quand même, quelques répliques aux lecteurs et des mises au point concernant ma dernière chronique sur Jacques Godbout et sa vision apocalyptique du Québec de demain.

Précoce parenthèse, je vous avoue une chose en toute candeur: j’aime bien quand des sujets s’étalent de la sorte, sur deux semaines. Cela montre parfois que j’ai pilé dans un nid de guêpes, à contre-courant de la morale ambiante ou des idées reçues, ce qui me ravit, ou encore, cela expose d’autres fois les faiblesses de mon argumentation, ce qui constitue un rare moment d’humilité pour le chroniqueur un peu pas mal plein de marde que je suis. Dans le cas qui nous occupe, c’est un peu des deux.

Pour revenir à Godbout, donc, ce retour expose aussi que le sujet est passionnant, dans la mesure où il soulève les passions.

Pourtant, c’est à la forme que plusieurs se sont arrêtés. Et quand je dis la forme, je pense à l’invective, à la force de frappe, à l’insulte. Ahh, l’insulte… Vous avez de la misère avec celle-là. Pourtant, dans le privé, au boulot, combien de fois par jour entendez-vous cent fois pire sans jamais vous en formaliser?

Remarquez, je vous comprends un peu. Dire de Jacques Godbout que c’est un vieux mongol, c’est peut-être y aller un peu fort. Et ce n’est pas très gentil pour les mongols.

Mais assez de sarcasmes à propos de la forme, passons au fond.

"Nulle part ne l’ai-je surpris à souhaiter un Québec tout blanc", me répond un lecteur qui a lu l’entrevue avec Godbout et me reproche une certaine malhonnêteté intellectuelle.

Évidemment qu’il ne le dit pas de la sorte. Évidemment que je prolonge sa pensée en disant que l’éminent penseur pour grandes surfaces souhaite un Québec tout blanc tout franchou. Mais quand il pleure la chute démographique de "la société canadienne-française", quand il constate l’épuisement des "Québécois de souche", quand il dit que le jeune d’aujourd’hui se rend compte "qu'[il] ne fait pas partie de la majorité, que [sa] société est en train de devenir clairsemée, dispersée…", je suis censé comprendre quoi au juste?

Anyway, et c’est là que je fais preuve de toute l’humilité dont je suis capable, que j’avoue avoir jeté quelques membres du bébé avec l’eau du bain: le bonhomme avance des choses pleines de bon sens (la laïcisation menacée par la rectitude politique du multiculturalisme, les curés écologistes), et d’autres tintées d’un défaitisme pestilentiel, propre à la vieille génération qui regarde, c’est immanquable, celles qui suivent avec dédain.

En fait, tout ce que je voulais dire c’est: regardez qui parle avant d’écouter. Tout ce que je voulais dire c’est: ici, le message, c’est le messager. Un septuagénaire aigri qui se regarde le nombril, trouve une mousse dedans, et se dit que jamais plus il n’y aura aussi belle mousse de nombril de l’histoire de l’humanité. On n’est pas dans les idées, on est dans la nostalgie. On n’est pas dans l’avenir, on regarde plutôt dans le passé comme on se recueille dans une église, avec la certitude de détenir LA bonne parole.

Critiquer ce qui se fait aujourd’hui est une chose. Constater le manque de perspective des politiciens, j’en fais moi aussi, comme plusieurs me l’ont souligné, mon pain et mon beurre.

Sauf que lorsque je vois ce bonhomme qui, du haut de ses 25 bouquins et ses 37 films, me débite, en pontifiant comme un prince, une série de vérités de La Palice sur notre époque de consommation, sur l’éducation, la culture, et qu’en plus, il ne trouve d’autre avenue au salut de la nation que dans les conseils du vieux sage, je fulmine. Je refuse son inquiétude teintée de suffisance. Je réfute sa condamnation.

J’ai dit regretter que Godbout n’ait pas de solution à proposer, mais je n’en ai pas non plus. Je trouve parfois, moi aussi, ma génération molle, ambivalente, dispersée, anesthésiée.

Mais en même temps, je vois en filigrane une volonté de changement. Je perçois des idées qui percent tant bien que mal le bruit blanc du divertissement. J’entends et lis des artistes qui prennent la parole, et pas plus maladroitement que pouvaient le faire ceux d’une autre époque. Peut-être leurs discours n’ont-ils pas le même vernis, mais qu’est-ce qu’on s’en tape.

J’entends Loco Locass évoquer Ferron ou Aquin, les Vulgaires Machins m’égratignent le tympan en même temps qu’ils fustigent l’état des lieux, j’assiste tous les jours, dans mes journaux, à de véritables débats d’idées qui ne sont pas toutes creuses.

J’entends une jeunesse qui n’est peut-être pas la majorité, comme n’était pas la majorité celle qui faisait autrefois son cours classique, ce que Godbout considère comme une condition sine qua non à la compréhension du monde. Mais je vois toute une jeunesse qui, sans renier un passé duquel elle doit effectivement tirer des leçons, ne se laissera pas pour autant enterrer vivante sans au moins faire un bras d’honneur à son fossoyeur.