Preston Manning : Preston (Ecoman)ning
Société

Preston Manning : Preston (Ecoman)ning

Preston Manning, ancien chef du Parti réformiste du Canada, prône avec entrain un «conservatisme vert», basé sur une logique hyper-capitaliste, qui, selon lui, devrait «révolutionner» le monde politique et les cénacles écologistes canadiens. Une approche révolutionnaire ou pernicieuse?

Qu’est-ce que le "conservatisme vert"?

"Les "conservateurs verts" ne sont pas des créatures excentriques et bizarroïdes mais, au contraire, des citoyens responsables qui, tout en étant de fervents partisans du libre marché, sont très soucieux des problèmes environnementaux et de l’avenir des ressources naturelles du Canada. Ils veulent absolument que notre environnement naturel soit protégé et conservé, non pas par le biais d’interventions ponctuelles et de législations gouvernementales, qui se sont avérées jusqu’ici très inefficaces, mais par le truchement des mécanismes inhérents au libre marché. Il s’agit de trouver comment utiliser les méthodes en vigueur dans le secteur privé pour tirer le train environnemental vers l’avant. C’est la seule manière réaliste de trouver un juste équilibre entre la protection de l’environnement et le développement économique, d’améliorer la qualité de notre environnement et d’assurer la pérennité des réserves, tarissables, des principales ressources naturelles du Canada."

Appliquer les lois du marché aux questions environnementales, n’est-ce pas une approche plutôt utopique?

"Pas du tout. Il faut que le coût, de plus en plus élevé, des conséquences environnementales associées au développement et à l’extraction des ressources naturelles soit inclus aussi dans le prix de vente final de la ressource naturelle en question. Il faudrait prendre en compte la valeur d’un environnement propre dans toute décision économique. Prenons l’exemple de l’exploitation des sables bitumineux. Les compagnies ne paient pas pour l’eau utilisée au cours du processus d’extraction – pour produire un baril de brut synthétique, on a besoin de cinq à six barils d’eau. Si le prix de l’eau, qui n’est pas une ressource naturelle éternelle, même au Canada, devait être inclus dans le coût total de production, les entreprises chercheraient alors à la conserver. Quand les compagnies parlent des coûts associés au développement des sables bitumineux ou à la production d’un baril de brut synthétique, le prix devrait systématiquement inclure aussi les coûts environnementaux relatifs à l’extraction des ressources naturelles. Il devrait en être de même pour l’hydroélectricité. Les dégâts causés à l’environnement ne sont jamais comptabilisés. Le principal but de cette démarche est d’arriver à une évaluation des coûts qui soit plus réaliste et plus responsable sur le plan environnemental."

Mais si on applique cette méthode comptable, les prix des ressources naturelles les plus indispensables, notamment le pétrole, augmenteront sensiblement.

"Vous avez raison, le secteur privé réagit au prix avant tout autre signal. Il est indéniable que la prise en compte des "coûts environnementaux" se traduira par une augmentation du prix final de vente de certaines ressources naturelles. Le pétrole et le gaz coûteront ainsi plus cher. Mais ces hausses de prix auront aussi un effet bénéfique: obliger les producteurs à développer de nouvelles sources d’énergie.

L’Occident est empêtré dans un cercle vicieux: il est incapable de rompre sa dépendance envers le pétrole, première source d’énergie mondiale. Ce sont les consommateurs qui continuent à payer chèrement le prix de cette dépendance délétère. Toute hausse du prix brut du pétrole ne pourra qu’encourager les gouvernements, les industries pétrolières et les consommateurs à chercher d’autres sources d’énergie moins dispendieuses. Dans ce cas de figure, les réserves de pétrole et d’autres ressources naturelles pourront être préservées plus longtemps. En Alberta, de grandes compagnies de pétrole ont commencé à prendre conscience de ce défi inéluctable. Elles investissent désormais une partie de leurs bénéfices dans la recherche et le développement de nouvelles ressources d’énergie renouvelable: les biocarburants, le gaz naturel, les hydrogènes…"

Dans le domaine environnemental, vous préconisez une collaboration plus étroite entre le Québec, l’Alberta et le gouvernement fédéral.

"Les provinces, en étroite concertation avec le gouvernement fédéral, devraient élaborer des plans d’action et des stratégies pour faire face à l’immense défi que nous posent l’approvisionnement et le tarissement progressif de nos réserves naturelles, notamment de pétrole. Par exemple, le Québec, qui exporte une partie de son hydroélectricité aux États-Unis, et l’Alberta, qui exporte son pétrole aux États-Unis, ont des intérêts communs majeurs qui devraient les inciter à élaborer une politique énergétique continentale sécuritaire. Cette politique permettrait, à long terme, au Canada d’être moins dépendant du pétrole émanant du Moyen-Orient, une région de plus en plus instable. Le Québec, l’Alberta et le gouvernement fédéral devraient adopter une position commune dans ce domaine vital. Une telle alliance renforcera la position du Canada vis-à-vis des Américains dans le domaine énergétique."

D’après vous, le Canada ne peut pas mettre en oeuvre l’accord de Kyoto, dont il est un des signataires. Pourquoi?

"Pour le gouvernement libéral de Jean Chrétien, qui a signé et ratifié l’accord de Kyoto, cet accord, des plus flous, n’était qu’un exercice futile de relations publiques. Les libéraux fédéraux n’ont jamais eu l’intention de mettre en oeuvre la moindre clause de cet accord. Celui-ci ne peut être implémenté sans la coopération étroite des provinces canadiennes, notamment de l’Alberta, principal producteur d’hydrocarbures au Canada, et de l’Ontario, principal consommateur d’hydrocarbures au Canada, et des entreprises privées, la majorité d’entre elles très polluantes. Or, le gouvernement de Jean Chrétien n’a associé aucun de ces acteurs-clés dans le domaine environnemental aux négociations de Kyoto. Il a mené ces négociations tout seul. Nous avons perdu dix ans. Pendant ce temps, des pays non signataires du traité de Kyoto, comme l’Australie et certains États américains, dont le Nord-Est de la Californie, ont adopté des mesures spécifiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement de Stephen Harper a dans cet épineux dossier une approche plus pragmatique. Mais, pour le Canada, c’est le retour à la case départ!"

www.manningcentre.ca