Qui a peur du quartier Saint-Sauveur?
Devons-nous craindre de vivre ou de se promener le soir dans le quartier Saint-Sauveur? Deux visions s’entrechoquent, l’une croyant le quartier plus sûr, l’autre affirmant que les résidants ne rapportent plus les événements vécus.
Si on en croit les statistiques concernant les infractions rapportées à la police, de 2005 à 2006, c’est le jour et la nuit dans le quartier Saint-Sauveur. Une baisse radicale de la criminalité apparaît lorsqu’on compare les plaintes formulées cette année et l’année dernière. Alors que les forces de l’ordre se réjouissent de la situation, des voix dissonantes apportent une lecture différente de la situation réelle dans le quartier Saint-Sauveur.
Cette chute des plaintes est surprenante, leur nombre allant jusqu’à diminuer de moitié pour certains délits. C’est le cas du vol à l’étalage (-52 % en 2006), de l’introduction par effraction dans les domiciles (-47 %) et des méfaits (-47 %). Moins spectaculaires, des baisses importantes des plaintes sont notées pour les vols de moins de 5000 $ (-43 %), les vols de bicyclettes (-40 %), les vols de véhicules motorisés (-30 %) ainsi que les vols qualifiés (-27 %). Avec une baisse de seulement 13 %, le bruit fait figure d’enfant pauvre de la baisse d’infractions rapportées.
BONSOIR LA POLICE
Cependant, une vision critique des interventions policières dans le quartier Saint-Sauveur vient donner un éclairage peu positif de la situation. La diminution des plaintes proviendrait d’une désillusion de la population de Saint-Sauveur envers les interventions policières. Un comportement paternaliste et quelquefois arrogant de la part de la police inciterait les citoyens à ne pas faire appel à aux policiers, d’où la diminution des plaintes recensées. Julie (nom fictif), une intervenante en milieu communautaire qui préfère garder son identité confidentielle, a rapporté au Voir des événements où les comportements de la police l’ont laissée perplexe. Ainsi, alors qu’une femme était en crise de panique dans un commerce du quartier, les patrouilleurs sont intervenus en lui demandant: "Ça vous arrive-tu souvent de péter des coches comme ça?" Dans un autre cas rapporté, les policiers ont décidé de ne pas intervenir dans une situation de violence conjugale, recommandant simplement au couple de dégriser et de "dormir là-dessus". Julie a alors entrepris des démarches pour qu’une plainte soit portée (la police étant la seule entité pouvant porter plainte hormis la victime dans les cas de violence conjugale). Elle s’est fait recommander de ne pas insister davantage si elle ne voulait pas passer la nuit au frais, que l’homme était sous enquête pour autre chose et qu’un simple cas de violence conjugale n’allait pas faire rater toute l’affaire.
Julie a elle-même vécu une situation où le comportement des policiers l’a profondément choquée. L’intervention est survenue à la suite d’une poursuite par un automobiliste dans les rues du quartier Saint-Sauveur. Julie revenait chez elle à deux heures du matin lorsqu’un homme dans un "camion de l’année" l’a accostée pour lui demander des faveurs sexuelles. Répondant à sa demande par un refus sec, elle s’attendait simplement à ce que l’individu poursuive sa route. À sa grande surprise, celui-ci se mit à la poursuivre dans les rues, même dans des sens uniques. Arrivant à son domicile, elle a composé le 911. Des policiers sont venus chez elle. Or, au lieu de s’assurer de sa sécurité, ceux-ci l’ont sermonnée: "Savez-vous dans quel quartier vous habitez? Qu’est-ce que vous faites dehors à cette heure-là? Et vous étiez seule sûrement?" Déçue de cette attitude, Julie considère qu’il est inacceptable que "les femmes aient à démontrer qu’elles ont été victimes de harcèlement à des individus avec des préjugés [sur le quartier]". Est-ce qu’elle fera de nouveau appel à la police? "Non, tranche-t-elle, je ne crois pas à la police pour sécuriser le quartier."
Devant cette lecture de la situation, Jean Trudel, commandant du poste de police pour les arrondissements de La Cité et de Limoilou, considère que "c’est extrapoler des choses que d’expliquer la diminution du crime de cette manière". Il précise cependant que "les patrouilleurs n’ont pas à réprimander les citoyens, mais bien à les assister". Selon M. Trudel, la diminution des plaintes reflète plutôt les efforts que son équipe a déployés pour réduire la criminalité. Depuis cette année, de nouveaux programmes de prévention de la criminalité ont été mis en place. À cet effet, dans le cadre du projet Habit’action, la police a rencontré des familles du quartier Saint-Sauveur. Les patrouilleurs ont ainsi échangé avec plus de 125 d’entre elles sur la sécurité dans le voisinage. Parallèlement à cela, le plan d’action Respect vise à redonner les lieux publics aux citoyens. Ainsi, les auteurs de comportements non désirés dans les lieux publics se font rappeler à l’ordre. Une présence policière dans les écoles vient compléter les nouvelles interventions dans le quartier. Cependant, le chef Trudel, refusant d’attribuer tout le mérite à son service, affirme que "cette diminution des infractions est due aussi aux efforts d’autres organismes qui oeuvrent dans Saint-Sauveur".
LAISSÉS-POUR-COMPTE?
Au Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur (CCCQSS), on reconnaît qu’il y a un clivage entre les attentes de la population et les interventions de la police. "Des citoyens viennent nous voir insatisfaits des suivis des plaintes qu’ils font à la police", commente Denise Garneau, coordonatrice. En réaction à un de ces cas, madame Garneau a fait parvenir une lettre au commandant Jean Trudel le 7 juillet dernier. La personne qui s’était plainte au CCCQSS avait joint la police à de nombreuses reprises pour des problèmes de mauvais voisinage et avait été constamment déçue des interventions. C’est promptement que la police a répondu à la lettre du CCCQSS, le 20 juillet, et le commandant Jean Trudel est allé s’occuper personnellement de la situation. Satisfaite de cette intervention, madame Garneau mentionne cependant qu’il existe une différence entre sécurité et sentiment de sécurité dans le quartier Saint-Sauveur.
Dans une étude menée auprès de la population de Saint-Sauveur en 2005, près du tiers des individus interrogés considéraient que la sécurité mériterait d’être améliorée dans le quartier. Plus particulièrement, ce sont les questions de la prostitution et de la sécurité le soir qui préoccupent les citoyens. Des commentaires repris dans l’étude témoignent d’une certaine désillusion par rapport au travail des forces de l’ordre. Ainsi sont rapportées l’affirmation selon laquelle "la police ne vient [dans le quartier] que s’il y a des plaintes ou de la prostitution" et l’impression "qu’on passe en dernier, qu’on ne s’occupe pas de nous".
Pour corriger la situation, le CCCQSS désire depuis 2004 mettre en place un programme d’îlots de voisinage pour améliorer la sécurité du quartier. L’objectif poursuivi est de mobiliser les citoyens afin d’assurer la sécurité dans leur voisinage. Sans tomber dans l’idée de former des vigiles, le CCCQSS veut permettre aux habitants du quartier de se prendre en main, notamment en s’assurant de l’éclairage de leur pâté de maisons et en ayant les ressources nécessaires pour réagir dans les situations problématiques. Les îlots sont ainsi des sections du quartier, quelques rues qui forment un tout cohérent. La disposition a été attribuée par la police de Québec, qui forme elle aussi des projets en ce sens. Elle désire assigner à chacun de ces îlots un patrouilleur qui en serait responsable, ceci dans le but d’établir de meilleurs liens entre la police et les citoyens. Malheureusement, aucun des deux projets n’est actuellement en oeuvre. Du côté de la police, le projet tarde à être mis en place pour des raisons de réorganisation des effectifs. Du côté du CCCQSS, le financement public attendu pour démarrer le projet n’a pas été octroyé. Ainsi, les citoyens devront encore attendre avant de voir les îlots apparaître pour sécuriser le quartier.