Les loges du Drague : Derrière chaque drag queen se cache… un homme!
Les loges du Drague, un dimanche après-midi. Quelques heures avant un show de personnificateurs féminins. Ils s’affairent. Ils se maquillent, enfilent plusieurs couches de bas de nylon, replacent leurs faux seins et peignent leurs perruques. Bref, on fait tout pour être prêt à temps pour le spectacle.
Mais d’abord… "Ils" ou "elles"? "On est des gars", précise Raya, d’ordinaire gérant d’épicerie. Il faut dire que l’on est d’abord et avant tout dans le monde du spectacle. "On n’est pas drag queen 24 heures par jour, sept jours par semaine. C’est un rôle, mais au lieu de jouer à Don Juan un soir, un joue à un personnage féminin", explique Ivy. Et le lyp-synch? "C’est parce qu’on chante mal!" blague Caprice. En fait, l’ambiance dans les loges est plutôt familiale, même dans le stress palpable d’avant-spectacle. "On vient ici, on s’accepte tous, on se "bitche", on se fait du fun", note La Gladu. "Le show, il n’est pas sur la scène. C’est dans les loges qu’on lâche les pires conneries!" note Vicky.
Ce métier, ils ne le font pas pour l’argent. À 25 $ la chanson, la chose devient principalement une affaire de passion. Surtout quand on prend en compte les investissements à faire, en temps ou en argent: costumes, maquillage, chorégraphies. "C’est le monde qui veut être ici qui fait ça", explique La Gladu. Question de couper les coûts, il s’agit de faire un peu de tout. "Je suis un peu maquilleur, un peu couturier, un pseudo-coiffeur", poursuit-il.
Mais personne n’arrive à être précis quand on leur demande pourquoi, dans le fond, ils sont là. "C’est comme demander à une chanteuse pourquoi elle chante", répond La Gladu. "Chacun a ses raisons. Pour certains, c’est de plaire au public, pour d’autres, c’est de se plaire à eux-mêmes", indique Réglisse. Le personnificateur, aussi directeur artistique au Drague, pour sa part, reste plus pragmatique. "Ça paie le loyer. Pour moi, c’est une job", explique-t-il.
Malgré tout, ils sont tous du même avis: le métier de personnificateur féminin est accessible. Mais il n’en reste pas moins que ce travail n’est pas fait pour tous. "Il faut quelqu’un qui se prend avec humour, qui est là pour divertir. On n’est pas des femmes, on est des clowns. On reste différents. On ne se prend pas au sérieux", explique Mercedes.
PAS DE RÉUSSITE SANS EFFORT
Alix de Courcy: "Je voudrais le faire tout le temps, toute ma vie, tant et aussi longtemps que je vais bien paraître et que je vais être belle." photo: Renaud Philippe |
Il faut aussi être prêt à y mettre les efforts nécessaires. "Si tu veux en faire un métier, il va falloir que tu te pousses à fond pour réussir à percer. Si tu veux juste être une petite pitoune, tu ne resteras pas ici longtemps", souligne Alix de Courcy. "Il faut que tu aies une personnalité assez forte parce que tu te fais extrêmement juger", ajoute Vicky.
Par ailleurs, leur pratique du métier ne date pas d’hier. Alix dit avoir commencé à 16 ans. Maya, pour sa part, considère que c’est depuis l’âge de quatre ans qu’il y pense. "Ça vient tout seul", note-t-il. Puis avec les années, avec la pratique, vient l’expérience. Certains des personnificateurs, comme Alix, Caprice ou Vicky, sont au début de la vingtaine, avec quelques années de métier derrière eux. D’autres, comme Mercedes ou La Gladu, font ce travail depuis plus d’une dizaine d’années. Réglisse, lui, a 38 ans, mais il a commencé sur le tard, il y a une dizaine d’années. Dans tous les cas, la transformation est saisissante. Au fil des préparatifs, l’illusion se créera, peu à peu, avec l’aide de maquillage… et d’un peu plus de maquillage.
Les perspectives dans le domaine, quant à elles, sont minces. Il y a beaucoup de personnificateurs pour une RuPaul ou une Mado. "C’est tellement de temps, ça ne mène à rien, ce métier. On se fait des rêves, mais la vie, c’est la vie", indique La Gladu. Plusieurs souhaitent toutefois exercer ce métier aussi longtemps que possible. "Je voudrais le faire tout le temps, toute ma vie, tant et aussi longtemps que je vais bien paraître et que je vais être belle", affirme Alix de Courcy.
Mais, pour cela, il faut bien démarrer. Certains, comme Alix, estiment que c’est plus facile si l’on a un mentor, une "drag mother". "C’est quelqu’un qui croit en toi et voit que tu veux aller plus loin, qui va te donner des cues, te protéger et même te donner des bookings", explique Alix. Et une fois qu’une carrière est lancée, elle peut durer. "Quand tu es bon, t’en fais longtemps", ajoute-t-il.
PRÉJUGÉS ET DIFFICULTÉS
Pour certains, c’est l’acceptation des parents qui est difficile à obtenir. "Ça demande aux parents d’accepter que tu es gai, mais qu’en plus tu t’habilles en femme", relate Raya. "Je me mets à la place de mes parents: ça ne doit pas être facile d’avoir un fils gai qui fait du show", raconte Vicky. Il y a aussi la relation avec le milieu, que l’on pourrait définir comme amour-haine. "Il y a des jours où ils nous aiment, d’autres où ils ne nous aiment pas", note Réglisse.
En fait, il estime qu’en tant que public, le milieu est positif, mais qu’individuellement, la relation est parfois plus difficile: les gens sont moins réceptifs, moins ouverts, mais, en même temps, continuent d’apprécier le spectacle… Certains estiment d’ailleurs que le métier rend les rencontres difficiles. "Le monde veut venir voir un show, mais ils ne veulent pas avoir quelqu’un qui fait du show dans leur vie", déplore Ivy, célibataire. D’autres, comme Mercedes, qui est en couple depuis sept ans, ont réussi à trouver l’âme soeur.
QUÉBEC – MONTRÉAL
Quant à la scène d’ici, ce sont une douzaine de personnificateurs qui offrent régulièrement des spectacles. "Il n’y en a pas plus à Montréal: une quinzaine y travaille régulièrement", relate Maya, se questionnant sur l’intérêt de la comparaison entre les deux villes. "C’est peut-être que le milieu gai à Montréal est trop visible?" propose Réglisse, soulignant que la communauté de la métropole est parmi les 10 plus importantes à l’international. Peut-être quelques différences dans l’approche, que l’on voudrait plus scénique à Québec? "On vient des Folie’s de Paris. Ils nous ont montré à être des artistes", poursuit Réglisse.
Il voit au fil des ans évoluer les membres de la troupe dont il s’occupe. "Ils ont leur expérience à vivre. Dans 10 ans, peut-être que leur philosophie sera différente", note l’ancien travailleur communautaire. Il croit toutefois avoir eu une bonne influence sur le groupe. "Ils ont évolué beaucoup plus vite que si je n’avais pas été là. Ils sont meilleurs que je l’étais à pareille époque", fait-il valoir.
Malgré toutes les préoccupations, il n’en reste pas moins que c’est le spectacle qui les "énergise". Tous sont là pour ça: pour l’adrénaline, le stress, le plaisir d’occuper la scène. Pour le plaisir de se retrouver devant 300, 400 personnes les jeudis au Drague. "Deux secondes avant le spectacle, je voudrais soit m’évaporer, soit disparaître dans le plancher. Je me demande toujours pourquoi je fais ça!" indique La Gladu. "Mais une fois que tu as goûté à ça, tu ne peux plus t’en passer. C’est un des plus beaux métiers du monde", estime Mercedes.