Je crois l’avoir déjà écrit, il n’existe pas de plus efficace antidote à la vie que les romans. La vie, comme dans ses agrégats de petites tumeurs qui la rongent dans l’actualité au quotidien. La vie comme dans les viaducs qui s’effondrent, la vie comme dans l’Irak et l’Afghanistan, la vie comme dans les éditoriaux de Jan Wong, la vie comme dans Loft Story. La vie comme dans la pathétique tournée promo pour la biographie de Sophie Chiasson.
Et la musique, comme antidote? Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, je l’aime triste, infiniment triste, ce qui, généralement, n’arrange rien. Par exemple, le dernier Dylan, la quatrième track qui joue en boucle dans mon auto: "Through the darkness on the pathways of life/Each invisible prayer is like a cloud in the air/Tomorrow keeps turning around/We live and we die, we know not why…" Voyez le genre.
Les livres, donc. Prenez celui-là, tout poqué d’avoir traîné dans mes valises: Politique, d’Adam Thirlwell. Le truc le plus marrant que j’ai lu sur le cul depuis très longtemps. Un antidote à cette sexualité qui nous obsède bien autrement que dans sa surexposition médiatique ou dans l’hypersexualisation des jeunes. Ici, on serait plutôt dans les méandres tortueux de sa propre pensée, de ses propres désirs, et dans le rapport du sexe avec l’amour, le couple. La petite politique de l’intime, quoi.
L’histoire du roman? C’est sans importance. Ou enfin, disons c’est secondaire, dans la mesure où ce qui s’avère intéressant ici, c’est que quelqu’un puisse encore écrire un livre sur le sujet le plus éculé qui soit en y apportant un éclairage nouveau, mais surtout, en nous faisant parfois tordre de rire, citant en exergue les lacunes hygiéniques de Mao, les leçons de morale faites à Kundera par Vaclav Havel ou le talent d’interlocuteur téléphonique de Staline.
Et dans la plus parfaite étrangeté en résulte un roman qui n’a pas le sexe pour objet principal, mais la bonté. Ce qui donne un peu l’impression au lecteur que l’auteur a trouvé son point G, et cela, presque par accident.
C’est brillant, au point où c’en est parfois même chiant, mais je le répète, c’est drôle à mort. Tellement que, moi qui n’ai jamais trop cru à la rigolo-thérapie, j’oserais pourtant prescrire cette lecture à tous les coincés du string ou fêlés de la "surenchaire".
"Crois-tu qu’un jour nous serons blasés et qu’il nous faudra faire l’amour dans des voitures accidentées pour jouir, comme dans Crash", y demande l’une des protagonistes à son amoureux.
"Je ne sais pas conduire", lui répond-il.
Bon, vous ne riez pas. Je m’en doutais un peu. C’est sans doute que vous préférez les essais de la sexologue Jocelyne Robert, et que pour vous, le sexe, c’est vraiment sérieux, ou alors, vous préférez l’humour mignon, plus romantique, moins coïto-graphique à la sauce judéo-anglaise.
C’est peut-être aussi que vous aimez mieux rire au cinéma qu’en lisant?
Ça tombe bien. Je ressors justement d’une projection de La Science des rêves de Michel Gondry. Joli, drôle, touchant. Un film qui est aussi un antidote aux petites maladies de la vie, mais surtout à celles d’un cinéma qui, sauf en de trop rares occasions, manque cruellement d’imagination et de liberté lorsqu’il donne dans quoi que ce soit d’autre que le réalisme.
Sorte de balade onirico-sentimentale à travers la série de tableaux naïfs qui composent l’imaginaire du personnage principal, on y navigue et on y chaloupe entre le réel et le rêve avec celui-ci. Le petit miracle de l’oeuvre réside dans cette manière qu’a Gondry de faire se rencontrer la forme et le fond, puisque comme son principal protagoniste, le spectateur est à ce point barouetté entre ces univers qu’il doute, à certains moments, d’être témoin d’un rêve ou de la réalité. Si vous permettez une comparaison bancale, c’est comme dans du David Lynch, avec l’affect en moins et l’humour premier degré en plus.
Attention, ce n’est pas un grand film. Ce n’est même pas un feel-good movie. D’ailleurs, je comprends bien les réserves de nombreux critiques, pour la plupart mi-figue mi-raisin devant cet essai qui renvoie parfois à une vision un peu trop pénible de l’existence, genre je-veux-pas-vieillir-parce-que-le-monde-des-grands-il-est-méchant.
N’empêche qu’avec son univers fêlé et ses personnages dont on s’amourache instantanément, ce film est une sorte de vitamine du bonheur en ces jours de grisaille automnale, tandis qu’on regarde s’effondrer le monde comme le béton des autoroutes sur les pauvres gens.
Mais parlant de rêves, j’en fais un régulièrement, et sachant que je compte parmi mes lecteurs quelques adeptes de l’interprétation des songes, j’aimerais bien qu’on m’explique celui-là.
J’entre dans un bar de danseuses. Le portier porte un masque de gardien de but à la Jacques Plante et tient une scie à chaîne qu’il active par à-coups pour me souhaiter la bienvenue. Je m’assois devant la scène. Je suis tout seul dans la place. Une danseuse est appelée par Mike Gauthier, c’est lui l’annonceur maison ce soir-là. La danseuse entre en scène, ses chevilles vacillent en haut de ses talons démesurés. Puis, en tournant autour du poteau chromé, elle sort de ses bobettes une édition presque microscopique de Critique de la raison pure qu’elle place sur ses gros seins pour en lire des extraits en faisant la split. Généralement, c’est à ce moment du rêve que je bande.