Motus et bouche cousue sur les sols contaminés
Société

Motus et bouche cousue sur les sols contaminés

Au bureau du zonage de la Ville de Québec, il s’agit d’un terrain anodin. Au Service de l’environnement (de la même Ville), il s’agit d’un terrain hautement contaminé. Un seul site, une seule Ville, deux diagnostics.

Le répertoire des terrains contaminés du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs fait état de 607 terrains contaminés dans la Capitale-Nationale, soit un dixième du nombre enregistré dans la province. Pour la seule ville de Québec, on compte 458 lots pollués, dont 294 ont été réhabilités, quoique plusieurs recèlent encore des hydrocarbures pétroliers et autres matières dangereuses: benzène, éthylbenzène, toluène, xylènes, arsenic, etc.

Sur le lot, on dénombre les terrains de 15 écoles, 3 centres récréatifs, 5 coopératives d’habitation, un jardin communautaire, un centre de la petite enfance et… une église. Il pourrait cependant ne s’agir que de la pointe de l’iceberg.

En effet, même si la Municipalité connaît l’existence de plusieurs terrains pollués sur son territoire, certains de ces lots n’apparaissent pas au registre du Ministère, et l’information les concernant prend la poussière dans le tiroir du bas. C’est le cas pour la coopérative d’habitation Les Pénates, le centre récréatif et l’école Saint-Roch ainsi que le jardin communautaire Conway (décontaminé en 2002).

Du coup, ces renseignements demeurent inaccessibles aux citoyens. Pire, les employés de la Ville ne sont pas non plus avisés de la présence de contaminants sur ces sites et peuvent affirmer, sans l’ombre d’un doute, qu’ils sont aussi vierges que le jour où Champlain a foulé le sol de Québec pour la première fois.

L’hebdomadaire Voir a remonté la filière bureaucratique pour comprendre comment un rapport de contamination d’un terrain municipal peut passer d’un tiroir à l’autre, sans jamais atteindre la place publique.

Notre journaliste s’est présenté au bureau du zonage avec l’adresse du centre récréatif Saint-Roch, un terrain gorgé d’hydrocarbures, pour vérifier si un avis de contamination avait été enregistré.

"Nenni", assure l’employé municipal après avoir consulté sa banque de données, une carte virtuelle représentant les lots de l’arrondissement de La Cité. "Si ce terrain était contaminé, une tête de mort apparaîtrait sur la carte à l’emplacement du terrain", précise-t-il en pointant du doigt l’écran de son ordinateur. Une recherche maison sur le site du Registre foncier du Québec donne le même résultat. Officiellement, le sol du centre récréatif est pur comme de l’eau de roche.

Un peu plus haut dans la même bâtisse, un autre fonctionnaire (un cadre cette fois-ci) raconte une tout autre histoire. La Ville a fait effectuer plusieurs relevés qui ont révélé la présence d’hydrocarbures sous le sol. Le Service de l’environnement de la Ville connaît bien le dossier.

LA VILLE NE FAIT PAS DE ZÈLE

Comment des fonctionnaires peuvent-ils savoir qu’un terrain recèle des matières dangereuses sans aviser le reste de l’administration municipale? Pourquoi l’information ne circule-t-elle pas du haut vers le bas?

La Ville, qui a fait effectuer l’étude de contamination, renvoie la balle au ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Le terrain infecté n’apparaît pas au zonage parce que le Registre foncier ne l’en a pas informé.

Alors pourquoi la Municipalité n’inscrit pas le lot contaminé au Registre foncier? "Parce qu’on n’est pas obligé de l’enregistrer", se défend Diane Bouchard, du Service de l’environnement de la Ville de Québec. "La liste [publique] est faite à partir de terrains qui ont un avis de contamination qui est enregistré au Bureau de la publicité des droits, au Registre foncier. Quand un terrain est enregistré, on reçoit une copie d’enregistrement et on le met sur la liste, c’est une obligation légale qu’ont les Municipalités."

Du coup, la Municipalité n’inscrit pas tous les terrains contaminés portés à sa connaissance au Registre foncier, de sorte que l’information ne circule pas vers le bas. "On n’enregistre pas tous les terrains contaminés, juste certains terrains […] sur la base des activités. Si on veut en changer l’usage par exemple. Mais ce terrain ne s’inscrivait pas là-dedans. La liste publique, ce n’est pas tous les terrains contaminés", justifie Diane Bouchard.

Le terrain en question, celui d’une ancienne station-service convertie en centre récréatif avant l’entrée en vigueur de la loi, est et restera celui d’un centre récréatif. Pas de changement d’usage, donc pas d’inscription au Registre.

Ce règlement permet d’échapper à la mise en oeuvre de mesures de réhabilitation et de publicité, dont une assemblée publique d’information prévue par la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement (communément appelée loi 72), ce qui permet de maintenir en place les contaminants présents dans le sol… sans alerter les citoyens.

La Loi sur la qualité de l’environnement permet d’ailleurs aux Municipalités de ne pas émettre d’avis de contamination pour les terrains excédant les valeurs limites dans la mesure où "connaissant la présence de contaminants dans le terrain, elle établit avoir agi, dans la garde de ce terrain, en conformité avec la loi, notamment dans le respect de son devoir de prudence et de diligence".

PAS D’INCITATIF POUR LES CITOYENS

Le Service de l’environnement assure cependant qu’une liste des terrains contaminés est en préparation (comme le prévoit la loi adoptée en… 2002) et qu’elle devrait être prête d’ici décembre. La liste sera-t-elle rendue publique? Rien n’est moins sûr, assure-t-on cependant. "On est en train de monter un inventaire des terrains qui ne sont pas inscrits [au Registre foncier]." Est-ce que la Ville va le rendre public? "Ça, je ne sais pas. Possiblement que ce sera rendu public ou disponible par la Loi de l’accès à l’information…" nuance Mme Bouchard.

Aucune mesure incitative n’a toutefois été mise en oeuvre pour encourager les citoyens à signaler la présence de matières toxiques sur ou sous leur terrain. Au contraire, on encourage plutôt les gens à cacher la poussière sous le tapis. Questionné sur ce que doit faire un citoyen ayant découvert des matières nocives sur sa propriété, le responsable du dossier pour l’arrondissement Limoilou propose de faire comme tout le monde, c’est-à-dire presque rien.

"On n’a aucun pouvoir sur les terrains contaminés, donc que vous nous le disiez ou que vous ne nous le disiez pas [que votre terrain est pollué], ça ne change rien pour nous", laisse tomber l’urbaniste Martin Bouchard. "Nous autres, on ne dira rien au Ministère, dans le sens où on ne fait pas faire les études, et les gens qui en font faire ne nous les apportent pas."

ooo

En réponse à l’article paru dans notre édition du 31 août 2006

Québec, le 15 septembre 2006

Monsieur David Desjardins,

Nous avons pris connaissance de l’article Attention! École contaminée publié dans l’édition du 31 août 2006 de l’hebdo culturel Voir Québec. Cet article contient des allégations que nous tenons à rectifier, dans l’intérêt des élèves, de leurs parents et de la communauté du quartier Saint-Roch.

Nous déplorons tout particulièrement que d’entrée de jeu, le journaliste affirme que les élèves "sont aux prises avec des héroïnomanes, vagabonds et prostituées fréquentant la cour d’école". Cette déclaration ne nous semble pas fondée et risque d’inquiéter inutilement les parents. En effet, il va de soi que l’école et la cour sont surveillées durant les heures de classe et que la présence de personnes pouvant compromettre la sécurité des enfants n’est nullement tolérée. Nous sommes conscients qu’il peut se produire dans notre quartier des situations qui exigent une vigilance constante de la part des adultes. C’est pourquoi la direction de l’école Saint-Roch, ses enseignants et son personnel prennent toutes les mesures pour garantir un environnement sain et sécuritaire aux enfants. Il s’agit là d’une préoccupation de tous les instants, et une large part de nos interventions sont préventives. L’école travaille notamment en collaboration avec la police communautaire du quartier et l’organisme Point de repère pour que la cour soit nettoyée tous les matins.

Quant à la contamination des sols, le rapport déposé par les experts en 2005 faisait état d’une situation à faible risque pour la sécurité des enfants. La Direction de la santé publique nous avait d’ailleurs assurés qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter.

De plus, il va de soi que les responsables de la Commission scolaire de la Capitale ne procéderaient jamais à des interventions sur le terrain de l’école pouvant comporter un risque pour la santé et la sécurité, si minime soit-il.
Nous espérons que ces rectifications sauront rassurer la communauté, les élèves et leurs parents.

Johanne Bissonnette
Directrice de l’école Saint-Roch
Commission scolaire de la Capitale

Réponse de la rédaction

Madame Bissonnette,

De notre côté, nous déplorons que vous n’ayez pas cru bon de nous rappeler et cela, bien que notre journaliste ait tenté à au moins quatre reprises de vous joindre. Vous auriez pu alors vous défendre de vive voix, et, du coup, apprendre que si nous parlons d’héroïnomanes, de vagabonds et de prostituées qui fréquentent la cour d’école, c’est parce ces faits nous ont été rapportés par des gens qui évoluent dans l’entourage de votre école. Par ailleurs, nous saluons vos efforts, de concert avec Point de repère, afin d’assurer la sécurité des enfants. Sauf que Point de repère qui doit venir faire le ménage, c’est un peu admettre qu’il y a un problème, non? Autrement, nous comprenons mal que ce rapport dont vous faites mention, et qui fait état d’une situation à faible risque pour les enfants, la commission scolaire a refusé de nous le remettre, nous forçant à invoquer la Loi sur l’accès à l’information pour l’obtenir. À ce sujet, vous avez déjà excédé les 20 jours réglementaires pour nous le faire parvenir, ainsi que les 10 jours de sursis. Nous ne devons pas nous inquiéter, dites-vous?

David Desjardins
Rédacteur en chef