Pop Culture : Encyclopédie culturelle
On ne provoque pas toujours les réactions que l’on prévoit. Dans ma récente chronique qui s’intéressait au rapport entre la publicité et les journalistes, je mentionnais au passage: "Les seules fois où j’ai été mordu [comprendre: les seules fois où on a exprimé un désaccord], c’était par quelques artistes un peu frustrés ayant avalé de travers une critique faite à l’égard de leur travail."
L’écho d’un lecteur s’est alors amusé à me triturer l’esprit. Ce genre de pensée qui obsède, qui vous surprend même dans ces moments de grâce où vous profitez d’un repos que vous croyez mérité. En peu de mots, voici l’essentiel de son interrogation: "Où se trouve la mince ligne qui sépare l’artiste critique de l’artiste frustré?" Question pertinente s’il en est, de surcroît depuis les commentaires tenus par l’acteur Patrice Robitaille (rôle principal dans Cheech) à l’émission Tout le monde en parle. Rappelons qu’il n’avait pas apprécié la critique de Normand Provencher (Le Soleil) à propos du film Cheech.
Je ne me prononcerai pas sur ce film – pas encore vu. Non plus sur les prises de bec entre Robitaille et Provencher. Mais la question se pose: comment devrait réagir un artiste à sa critique – et vice versa? Voici un extrait d’une encyclopédie culturelle s’intéressant à cette drôle de faune. (Début de citation)
L’ARTISTE FRUSTRÉ
L’artiste frustré vit souvent seul ou en bandes réduites. Très territorial, il se contente d’arpenter les lieux communs plutôt que de se lancer à l’aventure vers des contrées inconnues. Il déteste que d’autres représentants de son espèce pénètrent sur son propre territoire ou questionnent la disposition des lieux. Son univers correspond parfaitement à ses prétentions, alors il refuse de l’imaginer autrement.
Son principal prédateur est le critique, qui le consomme à petites bouchées. En réponse à chaque morsure, l’artiste frustré peut adopter plusieurs comportements. Certains se laissent dévorer, sinon par leur assaillant, alors par l’angoisse. D’autres, parfois, plutôt que de répondre directement aux coups qui leur sont portés, se cachent et attendent le moment opportun pour revenir à la charge. Cette feinte les place ainsi dans une rare situation d’immersion au sein du territoire adverse où ils démolissent tout, mus par un esprit de vengeance.
L’ARTISTE CRITIQUE
Le 10 octobre, la Rubrique présente la production franco-ontarienne L’Homme invisible/Invisible Man, une pièce traitant de la crise identitaire vécue par un bilingue de naissance. photo: Mathieu Girard |
Cette espèce menacée a des aptitudes sociales hors du commun. L’artiste critique n’a pas le même instinct territorial que son lointain cousin: il tolère que d’autres espèces traversent sa lande et ne craint pas la confrontation.
Son principal allié est le critique critique puisqu’une relation d’interdépendance nourricière s’installe rapidement entre eux. Le son qu’il émet varie entre le "Tu as raison" et le "Tu as tort", suivis de quelques grognements. On l’entend parfois retentir par courriel.
LE CRITIQUE FRUSTRÉ
On l’appelle aussi "le maladroit". D’autres expressions populaires sont usitées mais il est impossible d’en consigner ici une liste exhaustive. On le reconnaît à ses aptitudes sociales souvent déficientes. Rustre et sans nuance, il peut être très affectueux, voire bassement élogieux, ou alors franchement déplaisant. Peu d’artistes le tolèrent sur leur territoire, ceux qui le font l’accueillent généralement défensivement, avec beaucoup d’appréhension. On voit parfois les critiques frustrés frayer avec des artistes frustrés, faisant preuve d’une déférence affectée dans ces alliances improbables et contre-nature. L’expérience a montré que de tels rapports pouvaient générer des fruits malsains, où l’on dénote des tares importantes, entre autres des excroissances monstrueuses que l’on s’applique alors à camoufler.
LE CRITIQUE CRITIQUE
Le 6 octobre au Côté-Cour, c’est la poésie dérangeante – mais combien satisfaisante – de Guy-Philippe Wells qui comblera les amateurs. |
Qu’il soit effacé ou flamboyant, le critique critique sait qu’il est redevable à l’artiste, duquel il aime particulièrement suivre les traces. Nous observons dans son comportement une certaine constante: si son premier contact est toujours purement émotif, il se retire ensuite dans ses retranchements pour intellectualiser son expérience.
Ses alliances les plus prometteuses sont celles qui s’établissent entre lui et les artistes critiques. Si certaines saisons les opposent, comme c’est le cas de la saison des amours chez d’autres espèces, leurs confrontations débouchent rarement sur de fâcheuses conséquences. (Fin de citation)
Si la vie était comme ça, on saurait toujours à qui on a affaire… Malheureusement – ou peut-être heureusement -, les frontières entre ces catégories sont perméables. Artistes comme critiques passent souvent de l’une à l’autre.
Maintenant, je vous laisse vous faire votre propre idée à propos de l’altercation Robitaille/Provencher… Leur rencontre subséquente, si elle n’aura pas donné lieu à un événement journalistique mémorable, aura tout de même prouvé qu’un dialogue culturel est possible, et même souhaitable.