Christian Jacquiau : Marchands de bonne conscience
Dans son livre Les Coulisses du commerce équitable, l’économiste français Christian Jacquiau nous emmène dans l’arrière-boutique de l’industrie de l’éthique. Une enquête au goût amer.
Que ce soit au bistro du coin ou dans votre cuisine, au moment de déguster votre "petit noir" ou votre grand latte, vous choisissez toujours du café équitable? Vous avez lu sur l’étiquette de votre pot de café que ce geste simple permet à des agriculteurs des pays du Sud de nourrir leur famille et d’envoyer leurs enfants à l’école, donc cela ne vous dérange pas de payer plus cher pour la bonne cause? Après avoir lu l’ouvrage Les Coulisses du commerce équitable de l’économiste et expert-comptable français Christian Jacquiau (Éditions Mille et une nuits), votre café du matin risque de vous sembler plus amer.
"Personne n’ose demander des comptes aux "acteurs" du commerce équitable car ils font partie d’un supposé "axe du bien", ils nous permettent de garder bonne conscience en faisant nos courses… Mais savez-vous que parmi les 55 organismes français labélisés équitables, on retrouve 17 démarches différentes pour la certification? Il n’y a aucune traçabilité des produits, tout est possible, le consommateur ne peut pas contrôler ce qu’on lui vend!" remarque Christian Jacquiau.
Aujourd’hui, d’après l’auteur, ce commerce basé sur un "triple engagement, des producteurs et des consommateurs, arbitré par de nouveaux intermédiaires, les "acteurs" du commerce équitable", génère environ 500 millions de dollars de chiffre d’affaires sur les 5700 milliards de dollars du commerce mondial. Le contrat est simple, explique Christian Jacquiau dans le premier chapitre de son livre: "D’un côté, les consommateurs acceptent de payer "un peu plus cher" pour qu’un produit soit équitable. En acquittant ce supplément, ils contribuent à améliorer les conditions sociales et écologiques dans les régions de production. Les producteurs s’engagent, eux (…) à respecter les prescriptions environnementales et sociales qu’édictent pour eux les "acteurs" venus des pays du Nord. Quant à ceux-ci, ils s’engagent à acheter – ou à faire acheter – une production à un prix qu’ils définissent comme juste."
L’ENVERS DE L’ÉTIQUETTE
Seulement, derrière ce beau projet se cache une réalité moins reluisante. "Les petits producteurs doivent payer pour se conformer aux normes du commerce équitable, et en échange ils ne reçoivent généralement pas plus de 6 dollars bruts par mois, sans compter les frais de douane et les taxes… et leurs salariés journaliers, les paysans les plus pauvres, ne voient jamais la couleur de cet argent. Les grands groupes comme Nestlé, qui sont leurs clients, ne s’engagent jamais à leur acheter un montant fixe de leur production. C’est véritablement du racket. Ensuite, on culpabilise le consommateur et le commerce équitable devient un outil de marketing qui permet à ces grandes entreprises de réaliser des marges pharaoniques. C’est scandaleux!" s’indigne Christian Jacquiau.
Au fil de cette enquête de fond qui explore avec une minutie et une rigueur remarquables l’envers de la médaille de ce "petit business qui monte", Christian Jacquiau met surtout en cause l’organisme Max Havelaar, "label autoproclamé du commerce équitable" dont le logo vert et bleu sur fond noir est estampillé sur des boîtes de café, de thé, de bananes, de chocolat, de jus d’orange, de sucre, de riz, de mangues, de miel et de coton vendues dans une vingtaine de pays, dont le Canada. Cet organisme de certification, qui "n’achète ni ne vend aucun produit", générerait près de un milliard sept cents millions de dollars de profits chez ses concessionnaires. "Et au final, les heureux bénéficiaires du commerce équitable sont des entreprises comme McDonald’s ou Starbucks!" dénonce l’économiste.
"À l’origine, les créateurs du concept de commerce équitable cherchaient un moyen de contrer la mondialisation. Comment ce mouvement politique majeur a-t-il pu se transformer en geste de charité? On occulte le fait que certains travailleurs d’ici comme les serveuses et les caissiers de chez McDonald’s et Starbucks vivent dans une extrême précarité, pour faire de la communication clean en faveur des petits paysans du Sud… Mais comment aide-t-on nos petits paysans à faire face aux règles édictées par l’OMC?" s’interroge l’auteur. "J’ai écrit ce livre parce que je crois que l’avènement d’un monde véritablement équitable est possible. Il n’y a jamais eu autant de richesses produites dans le monde, et pourtant, il n’y a jamais eu autant de pauvres! Je suis un homme de l’entreprise, pas un révolutionnaire! Mais l’entreprise qui exploite et qui cherche uniquement le profit maximum, ce n’est pas mon modèle. Le commerce véritablement équitable est la solution, mais il faut que les citoyens s’en emparent avant qu’un scandale n’arrive…", affirme Christian Jacquiau.
Les Coulisses du commerce équitable
de Christian Jacquiau
Éditions Mille et une nuits, Coll. Document, 2006, 476 p.