Les écolos dans la mire
Fer de lance de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) ou empêcheurs de tourner en rond, les groupes écologistes ne sont pas à l’abri des recours en justice.
Depuis plus d’un an, l’Association québécoise pour la lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) est dans la mire d’American Iron & Metal (AIM). Pourquoi? Pour avoir révélé que le ferrailleur montréalais menaçait le fragile équilibre de la rivière Etchemin en construisant une déchiqueteuse sur un ancien dépotoir, le tout, sans permis de la Ville de Lévis ni certificat d’autorisation du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs.
"On a des membres qui nous ont dit d’aller voir la rivière parce qu’il y avait des écoulements provenant du dépotoir. C’est comme ça qu’on a commencé à remonter la filière et qu’on s’est rendu compte [qu’AIM] était en train de construire un gigantesque projet industriel sans que la population n’ait été avisée", explique le président de l’AQLPA, André Bélisle, qui a contribué au retour des saumons dans la rivière Etchemin après plus de 200 ans d’absence.
La contre-offensive a été cinglante. American Iron & Metal intente une poursuite de 5 millions $ en libelle diffamatoire contre six citoyens, l’AQLPA et le Comité de restauration de la rivière Etchemin. Les conséquences sont dramatiques. "L’homme qui nous a informés de cette affaire a fait une crise de coeur lorsqu’il a appris qu’il se retrouverait devant la justice. Suite à sa mort, la compagnie a retiré la poursuite et l’a retournée contre sa succession", se souvient André Bélisle, qui raconte s’être lui-même fait "filer" par un détective privé engagé par l’entreprise.
VERS UNE LOI ANTIPOURSUITE ABUSIVE?
L’affaire a toutes les allures de ce que les Américains appellent une SLAPP (strategic lawsuit against public participation), une poursuite stratégique contre la mobilisation populaire. L’astuce, qui demeure le luxe des corporations biens nanties, consiste à intimer au silence des citoyens ou des organisations moins aisés en les écrasant sous les frais juridiques. La conséquence? La liberté d’expression devient une affaire de portefeuille.
Le Parti vert du Québec, qui estime que les SLAPP constituent un phénomène émergeant dans la province, a exigé du gouvernement qu’il agisse promptement afin de protéger le droit à la parole citoyenne. Selon Scott McKay, le chef des verts, le Québec doit rapidement se doter d’une loi anti-SLAPP, qui inclurait un mécanisme de rejet précoce des poursuites abusives, comme c’est déjà le cas dans 24 États américains. Il réclame également la mise sur pied d’un fonds de défense des citoyens et la révision de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour y inclure la notion de droit à la participation publique.
"Aux États-Unis, toutes les causes qui ont été gagnées contre des SLAPP l’ont été en invoquant la notion de right to petition, qui est incluse dans le premier amendement. En termes modernes, il s’agit du droit à la participation publique", avance le chef du Parti vert, qui considère que le principe de liberté d’expression n’est pas suffisant parce qu’il implique son corollaire: le droit des corporations à défendre leurs intérêts.
Rapidement, les autres partis politiques ont emboîté le pas, à commencer par Québec solidaire, qui s’en remet à l’avis du lobby environnemental pour l’élaboration d’une législation adéquate. "La chose qui est intéressante, c’est qu’on dirait qu’à peu près tout le monde est d’accord pour dire que ça va prendre une loi […]. Le gouvernement libéral s’est fait tirer l’oreille, mais il a quand même fini par dire qu’il faudrait faire quelque chose", estime Françoise David, porte-étendard de la jeune formation politique.
De son côté, l’ADQ doute de la pertinence de l’adoption d’une loi anti-SLAPP. La députée de Lotbinière, Sylvie Roy, une avocate de métier, prône plutôt des amendements au Code de procédure civile afin de faire en sorte que les juges puissent analyser la requête et déterminer s’il s’agit d’une poursuite abusive avant le déclenchement d’un procès. "S’il faut attendre la fin d’un procès pour qu’un groupe gagne [contre une poursuite abusive], c’est totalement inefficace parce qu’un [groupe de citoyens] n’aura jamais les fonds pour se rendre en bout de piste." La porte-parole adéquiste estime également qu’on pourrait contraindre les corporations qui intentent des poursuites contre des citoyens à déposer des garanties financières. Ces mises de fonds pourraient défrayer les frais d’avocat de la partie intimée s’il est démontré qu’elle est victime d’une SLAPP.
Au Parti québécois, l’élaboration d’une loi contre les poursuites abusives est déjà à l’ordre du jour du prochain conseil national. André Boisclair a d’ailleurs fait part de son intention de doter le Québec d’une législation devant permettre d’éviter de tels abus de procédure.
Le gouvernement Charest, qui au tout début n’a pas bronché, rajuste peu à peu le tir, sans pour autant changer son fusil d’épaule. Après avoir opposé une fin de non-recevoir à la création d’une loi pour éviter ce type de poursuites, le ministre intimé, Claude Béchard, a récemment annoncé avoir commandé une étude sur la faisabilité d’une telle législation au Québec.
Selon André Bélisle, l’intention est encore trop timide. "D’après moi, ce n’est rien de plus qu’un écran de fumée. On essaie de gagner du temps. [Les libéraux] sont dans une situation tout simplement intenable, et, là, les gens se demandent s’il existe encore une loi sur l’environnement."
Le Parti libéral aurait-il trouvé une recette magique pour régler la question des SLAPP? Le quotidien Le Devoir a révélé dans son édition du 6 octobre que le gouvernement Charest projette une refonte de la Loi sur la qualité de l’environnement incluant l’ablation de l’article 19.1 de la loi actuelle. Or, c’est justement ce paragraphe qui autorise les citoyens et les groupes écologistes à interpeller les pollueurs devant les tribunaux lorsque le "droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent" est en péril. Sans cet article, la parole citoyenne pourrait bien se retrouver sans écho. Le ministre Béchard s’est cependant engagé à maintenir le droit à un environnement sain le lendemain de la publication de l’information par le quotidien montréalais.