Pop Culture : Vous faire Voir
Cet été, j’ai choisi un vaste champ découpant le paysage culturel régional. J’y ai construit un immense échangeur bétonné, le carrefour de deux autoroutes à quatre voies divisées. Puis je me suis assis sur un coin de trottoir, à la croisée des chemins, adossé au réverbère. Et j’ai attendu de voir. Qui oserait l’emprunter.
C’était au mois d’août dernier. J’attends encore.
En effet, au mois d’août, j’ouvrais sur le blogue Saguenay/Alma: À perte de vue un billet évolutif que je désirais réserver à la relève du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Un billet qui permette non seulement aux releveurs de se reconnaître entre eux, mais aussi un outil de visibilité gratuit hors du commun, donnant sur tout le Québec – et même plus. Aucune pitié là-dedans: qu’une foi inébranlable pour le talent émergent – à laquelle s’ajoute certainement le désir d’être surpris et dérangé, égoïste que je suis.
Comme la voie du doute est souvent un raccourci vers l’amélioration, je me suis questionné. Peut-être la catégorie "relève" fait-elle peur? Alors ce serait une erreur. Refuser d’être de la relève, c’est refuser le cours des choses, c’est s’empêcher de suivre le sentier normal, trace laissée par tous ceux qui ont attiré ou qui attirent aujourd’hui l’attention des médias – et du public. Faire partie de la relève, c’est être nouveau, apporter une fraîcheur salvatrice. Bref, c’est être parmi ceux qui vont tasser les croulants qui cherchent à s’incruster, c’est vouloir s’aménager une place sur le lot de la culture. Celui qui cesse d’être de la relève se trouve en situation de danger; en effet, il s’en faut de peu que quelqu’un ne vienne le tasser à son tour.
Peut-être était-ce simplement une erreur stratégique de ma part de lancer ce billet au milieu du morne mois d’août. Peut-être aurais-je dû attendre l’effervescence culturelle de l’automne pour faire une telle proposition. Je l’espère de tout coeur. Si vraiment le problème n’était que celui-là, c’est avec grand plaisir que je croulerai sous vos courriels dans les prochaines semaines.
Malgré cela, un doute m’assaille. Certains jeunes artistes préfèrent peut-être se complaire dans la complainte, jouant aussi bien la victime que la guitare – ou l’instrument de leur choix. Faites-moi mentir.
On croit souvent à tort que l’obstacle le plus important pour les artistes de la relève est d’ordre pécuniaire. On imagine le pauvre artiste qui gratte comme un défoncé sa guitare, en gueulant avec force larmoiement son ressentiment pour un destin qui le contraint à une perpétuelle déroute labyrinthique et qui l’empêche d’avancer, lui refusant les feux de la rampe. Or, il n’y a aucune corrélation effective entre les moyens et le talent – on se souviendra avec un sourire en coin que Jacques Villeneuve s’est payé le luxe d’autoproduire un album.
Si les jeunes artistes, toutes productions confondues, réservaient ne serait-ce qu’une infime partie de leur énergie à se faire valoir, leur talent serait certainement plus facilement remarqué. Car si l’intérêt des gens répond à ce talent, leur respect se gagne plutôt par l’effort. Si vous croyez en ce que vous faites, il faut cesser d’attendre. La reconnaissance ne vient pas d’elle-même, elle doit être chatouillée pour s’offrir.
Cesser d’attendre, qu’est-ce que ça signifie? D’abord tout mettre en oeuvre pour profiter des institutions déjà en place. Je parle du journal Voir, des autres médias, des différents organismes déjà bien en selle: cesser de craindre le refus. Ensuite, ça signifie que s’il ne semble y avoir aucune place pour votre art, il faut lui en créer une. C’est ce qui a permis à des organismes originaux de la région de voir le monde – et d’être vus par le monde. Pensons au festival Regard sur le court métrage, qui a développé son créneau, aussi au mouvement de création sous contrainte 3REG, qui permet à de jeunes artistes d’acquérir une expérience de choix avec le public… Cesser d’attendre, c’est se doter de ses propres moyens.
Alors, releveurs culturels… Je n’ai ni le temps ni l’énergie de courir les salons, garages ou fonds d’ateliers qui vous servent de lieu de répétition ou d’expérimentation à la recherche de votre talent – quoique je doive avouer que l’idée est séduisante.
Il y a une place pour vous sur le blogue Saguenay/Alma: À perte de vue, dans le Bill d’la relève. C’est l’étape cruciale d’une stratégie globale de mise en valeur de votre production, de votre art. Il n’y a pas que le talent qui compte – et je suis bien placé, je crois, pour l’affirmer. Il y a aussi la force de caractère et la volonté de percer. Douter de soi est une attitude des plus saines… Jusqu’à ce que ça nous empêche d’avancer. Soyez un peu effronté. Faites-vous voir. Allez vous faire Voir.