Société

Ennemi public #1 : Les riches, l’angélisme, et encore le racisme, tiens

Une publicité dans ma boîte aux lettres, en format carte postale. C’est le cri triomphant de l’agente d’immeubles qui fait l’étalage de son indiscutable compétence. VENDU, proclame la réclame en lettres majuscules, comme si l’agente à la chevelure "blond éternité" réclamait des félicitations. Sous le message d’autocongratulation, la photo de deux maisons, sises à un jet de pierre d’où je vis.

En prime, la pub nous laisse savoir combien les anciens propriétaires de ces charmantes bicoques ont pu en tirer. La première, une petite maison canadienne, a été échangée contre la rondelette somme de 230 000 $. La seconde, un peu plus vaste, sertie d’un gros garage, bradée pour à peine plus de 400 000 $.

Des pinottes, quoi.

Nous sommes dans le quartier Saint-Louis-de-France, entre les ponts et Sillery. Là-bas, le plus modeste des bungalows, vaguement rénové, se vend aisément pour la bagatelle d’un quart de million. Dans ce secteur, exception faite des quelques rares immeubles de logements, ce sont là les demeures les plus abordables. "Des maisons pour de jeunes familles qui débutent dans la vie", vous diront les vendeurs, sans rire.

En s’approchant du fleuve, les maisons vont grossissant, leur prix frisant parfois le million si vous avez le bonheur de posséder à la fois une piscine et un morceau du paysage fluvial.

Maintenant, imaginez Sillery. Imaginez Le Mesnil. Imaginez combien il en coûte pour vous payer une maison de ville dans Montcalm ou Saint-Sacrement, un condo dans le Vieux-Port. Mieux, une demeure ancestrale dans le Vieux-Québec.

Une visite rapide sur le site Internet de l’un des plus importants réseaux d’agents immobiliers vous permettra de réaliser que le plus banal des cottages, face au bruyant trafic du boulevard Laurier, se vend à près d’un demi-million. Qu’un "split-level" de la rue Marie-Victorin, tout ce qu’il y a d’ordinaire, vaut encore plus.

Cherchant à justifier son plan de créer des îlots de bien nantis en approuvant la construction de projets de condos de luxe sur les terres des congrégations religieuses, dont plusieurs en bordure du fleuve, la mairesse Andrée Boucher affirmait, en entrevue au Journal de Québec, que "les riches nous fuient".

Pourquoi ce long préambule avant d’en venir au fait? Pour répondre à la mairesse que c’est juste pas vrai, bon.

Et que si les riches quittent leur demeure, c’est surtout pour aller acheter un truc au dépanneur. Ou chez Holt Renfrew.

Tant qu’à remettre les pendules à l’heure… Vous le savez, personne n’est à l’abri de la méprise, de l’erreur, et surtout pas l’auteur de cette chronique qui, en cédant à un accès de style la semaine dernière, a aussi péché par manque de rigueur.

Les propos de Robert Lepage n’ont donc pas été rapportés en dehors de leur contexte, contrairement à ce que j’écrivais la semaine dernière. Il ne s’agissait pas non plus d’une manipulation de la part du journaliste, qui s’est empressé de me le faire savoir sur ma boîte vocale vendredi dernier, même si dans le texte, je posais la question, sans jamais l’affirmer.

En fait, ce que j’aurais dû dire, c’est la chose suivante: toujours à la recherche d’une nouvelle qui fera vendre de la copie et parler de lui à une période de son existence où il en a bien besoin, le journal Le Soleil instrumentalisait la semaine dernière une déclaration de Robert Lepage concernant la xénophobie de la population de Québec, choisissant de monter en épingle ce qu’un confrère du même journal désigne très justement comme "la phrase qui tue", anéantissant du coup toutes les nuances du discours de l’artiste – et de l’article – pour le réduire à une déclaration incendiaire.

Cela dit, ma position demeure la même concernant cette déclaration: on s’en crisse qu’elle ait été prise hors contexte ou non, ce qui est intéressant ici, c’est de lancer le débat.

Cela m’ouvre la porte pour revenir sur ce sujet qui, je m’en doutais, n’a pas manqué de provoquer ceux qui dénoncent le racisme en le refusant en bloc, se réclamant d’une rectitude politique qui, pour paraphraser mon maître à penser en la matière, Lenny Bruce, ne permet que de conférer au racisme encore plus de violence, de pouvoir.

Comme je me trouvais tout à coup un peu tout seul de ma gang à admettre l’inadmissible, à avouer mon petit racisme minable dans ma chronique de la semaine dernière, je me suis souvenu de cette comédie musicale de Broadway, Avenue Q, dont une des chansons s’intitule justement Everyone’s a Little Bit Racist.

Sur scène, des marionnettes et des gens de toutes les races chantent en choeur:

"Tout le monde est un petit peu raciste, parfois/Même si nous savons tous que c’est très mal/Et ça ne veut pas dire que nous commettons des crimes haineux pour autant, oh non!/Tout le monde est un petit peu raciste, c’est vrai/C’est bien difficile de l’admettre, mais si nous cessions de nous fermer les yeux, d’être aussi politically correct, peut-être enfin pourrions-nous vivre en har-mo-nie."

La chanson, où Noirs, Blancs, Juifs, Arabes et Asiatiques se rendent coupables de racisme en se défendant pourtant d’être racistes, illustre à la perfection toute l’hypocrisie de notre société bien-pensante, et la difficulté qu’éprouvent parfois à vivre ensemble différentes ethnies, comme à Montréal, Toronto, ou New York, où se déroule Avenue Q.

Cela dit, l’angélisme de ceux qui se prétendent au-dessus de tout racisme à Québec n’a rien de surprenant. Car au fond, quoi de plus facile que de dire qu’on aime tout le monde pareil quand tout le monde autour il est pareil?