Monique Giroux : La nostalgie, camarade?
Société

Monique Giroux : La nostalgie, camarade?

Monique Giroux fêtait 20 ans de carrière cette semaine. Admiratrice de Ferland et d’Harmonium, marraine de la relève, l’animatrice de Fréquence libre fait le pont entre les époques. Rencontre.

On vous connaît pour vos émissions radio-canadiennes, mais c’est à CIBL que vous avez fait vos débuts.

"C’était à l’automne 86. Avec mes disques de Ferland ou de Monique Leyrac sous le bras, je détonnais un peu dans le décor."

La musique pop occupait trop d’espace à l’époque?

"Dans les années 80, les Québécois se sont détournés de la chanson. Il fallait se remettre du traumatisme qu’avait été le référendum. Pendant 30 ans, on avait lié la chanson québécoise à notre identité nationale. Après 1980, les gens ne voulaient plus trop écouter Félix et les autres. Ils avaient besoin de prendre du recul. J’étais à l’époque une des rares à encore m’y intéresser. Depuis, bien sûr, les choses ont changé."

La musique n’est plus une question d’identité?

"On est passé à autre chose. Nos artistes sont de plus en plus cosmopolites: Monica Freire, Thomas Hellman, Lhasa de Sela ont des identités mixtes, de citoyens d’une métropole cosmopolite. Nos horizons ne sont plus les mêmes. Yann Perreau me disait récemment qu’alors que les gens de ma génération s’échappaient vers Paris, lui rêve de Barcelone.

Aujourd’hui, au-delà de la politique, ce qui compte le plus et ce qui fait le succès de nos artistes, c’est qu’ils font de leur mieux, ils se donnent à fond. C’est d’abord comme ça qu’on va exister. Pas nécessairement en montant au créneau, en faisant des marches pour l’indépendance, mais en faisant correctement notre affaire. Il suffit d’être soi-même."

On vous taxait volontiers de nostalgie. Auriez-vous préféré vivre à une autre époque?

"Au début, c’est ce que je me disais. Que j’étais née trop tard. On m’appelait madame Vieille Chanson. Certains de mes auditeurs s’imaginaient que j’avais 70 ans. J’ai appris qu’au contraire j’étais née juste au bon moment. Quand Ariane Moffatt me dit que Jaune de Ferland est l’album qui l’a le plus influencée, je me dis qu’il y a eu un vrai travail de rattrapage et de transmission auquel je pense avoir participé."

De madame Nostalgie, vous êtes devenue l’une des principales découvreuses de jeunes talents au Québec. Pierre Lapointe, Ariane Moffatt et une pléiade d’artistes ne cachent pas l’amitié qu’ils ont pour vous.

"Pendant longtemps, on aurait pu penser que je pataugeais dans les vieilles affaires. Depuis quelques années, on se rend compte que non seulement je ne suis pas passéiste, mais je suis avant-gardiste. Je passe beaucoup de temps à écouter des nouveautés. Je me fais des piles de maquettes. J’épluche des tonnes de courriels. Je suis toujours à l’affût et les gens le savent. Certains jeunes artistes s’imaginent que je peux faire des Pierre Lapointe, treize à la douzaine. Évidemment, des Pierre, ça ne se trouve pas tous les jours."

Vous sentez-vous responsable des artistes que vous aidez à lancer?

"Je fais souvent office de confidente; comme je suis quelqu’un de discret, je peux les aider. Le succès arrive souvent subitement. Il faut savoir le vivre. Alors je les coache. Je les conseille. Je leur explique ce que c’est qu’une entrevue. Et puis ils deviennent mes amis. Je me suis rendu compte, en réfléchissant à mes 20 ans de carrière, que tous ces artistes étaient devenus mes proches. Si Pierre Lapointe était architecte ou Ariane boulangère, je serais encore leur amie."

À l’ère des blogues, des MySpace, des MP3, pensez-vous que votre rôle sera toujours aussi important?

"D’une certaine manière, on a moins besoin de la radio qu’avant. Je me souviens, quand j’avais 15 ans, pour entendre une chanson, je téléphonais à CKOI parce qu’il n’y avait qu’eux qui faisaient tourner des groupes comme Harmonium. Et puis j’attendais. Le jour où la chanson passait, je l’enregistrais. Aujourd’hui, tout est plus instantané, plus rapide. Les sources d’information se sont multipliées. Ce que je peux faire, qu’Internet ne peut pas, c’est rendre un sujet sexy auprès des auditeurs en lui donnant le temps d’antenne qu’il mérite, en suivant les artistes sur une longue durée."

Monique Giroux anime Fréquence libre, à 13 h 30 tous les jours de la semaine, sur la Première Chaîne de Radio-Canada.