Pop Culture : Un chanteur pour nos chômeursTrouvez l'erreur
Société

Pop Culture : Un chanteur pour nos chômeursTrouvez l’erreur

De simple émissaire, porteur du discours de sauvegarde de la forêt boréale, Richard Desjardins devient bouc-émissaire de service, cible facile puisqu’il s’expose lui-même à toutes les foudres aussitôt qu’il prend la plume ou qu’il gratte sa guitare. Le voilà à nouveau au coeur du tourbillon médiatique sans même avoir eu à ouvrir la bouche, se trouvant directement dans la mire du ministre du Travail Jean-Pierre Blackburn, qui le voit comme le déclencheur de nos déboires dans le secteur forestier. L’Erreur boréale serait-elle à la source de la crise forestière qui mine le moral régional?

Réalisé en 1999 par Richard Desjardins et Robert Monderie, le documentaire L’Erreur boréale a frappé l’imaginaire national en montrant des forêts dévastées par le manque de tact des industries et de leur machinerie. Une situation qui ne faisait pas la une des journaux, à l’époque.

Le point de vue sensible du poète, chanteur et réalisateur, qui n’a jamais caché le côté pamphlétaire de son travail cinématographique – comme de plusieurs de ses chansons -, avait d’abord choqué, dérangé. C’était tellement gros qu’on refusait de se laisser y croire. Il aura finalement réussi à émouvoir la population et gagné sa confiance, l’intéressant à une préoccupation se situant à mille lieues du quotidien de la plupart des gens. Il y avait bien un problème, et pour la première fois on en prenait véritablement conscience. Un arbre debout dans notre cour nous avait jusque-là caché les forêts, couchées jusque loin vers le nord.

Qu’il ait choisi, à l’époque, de révéler certains faits et d’en occulter d’autres, que son travail n’ait pas été objectif, tout ça importe peu: Desjardins, avec son documentaire, ne cherchait pas à brosser un tableau exhaustif de la situation de la foresterie. Trop de variables étaient manquantes. C’est justement à cette conclusion qu’il voulait que le spectateur – et le gouvernement – en vienne: il faut s’interroger, il nous manque de l’information.

Il ne s’agissait pas de prendre en grippe les travailleurs – on était loin du discours brut et sans nuances de Bérurier Noir ("Les bûcherons marchent dans la forêt/Les bûcherons sont de plus en plus laids/Avec leurs barbes de quatre mètres/Et leurs haches qui fendent les chênes/Leurs chaussures écrasent les plantes/Et dans les arbres détruits ils dansent"). Dire qu’il y en a pour penser que Desjardins ne savait pas de quoi il parlait.

Pour notre poète boréal, il fallait questionner les principaux acteurs de l’industrie forestière et le gouvernement. Mais surtout, il fallait que ce questionnement devienne populaire, que nous devenions conscients. Au-delà des discours rassurants des grandes compagnies forestières multinationales – qui ont endormi leurs propres travailleurs -, il fallait ouvrir les yeux sur le problème de la mise à sac de la ressource. Qu’on s’en souvienne: le rôle du poète n’est jamais de faire la lumière sur un phénomène, mais de susciter chez ses contemporains un intérêt pour cette possible lumière.

Est-ce que les problèmes de chômage vécus dans le secteur forestier sont redevables au documentaire de Desjardins? Allons donc! Si Desjardins s’était fermé la gueule, la forêt n’aurait pas subi moins d’abus. Les techniques de réaménagement sylvicole n’atteignent pas la moitié de leurs objectifs. Quelque 20 % de réduction du droit de coupe, en effet, c’est beaucoup, mais nous sommes en rupture de stock. Ça coûte cher à l’économie régionale telle qu’on la connaît, c’est clair. Mais est-ce une conséquence du documentaire ou de l’abus inconscient qu’un laxisme politique a permis?

Il faut viser le message, pas le messager. Desjardins ne s’est pas fait beaucoup d’amis dans la région, en particulier à cause de ses prises de position virulentes envers le travail des chercheurs en foresterie de l’UQAC. Mais ses efforts ont au moins le mérite de nous avoir alertés, prouvant que la situation montrait déjà des signes de crise et des problèmes graves depuis plus d’une trentaine d’années.

N’est-il pas normal de s’interroger? Le rapport Coulombe, qui résulte effectivement des préoccupations qui sont nées de l’oeuvre de Desjardins et des pressions d’Action boréale, a donné de nombreuses raisons de se sentir interpellés par ce qui se passe dans nos forêts. Mais de là à dire que les méchants poètes et les écolos ont provoqué le chômage des travailleurs… S’attaquer aux artistes et aux contestataires est une attitude de diktat.

Alors, Richard – tu excuseras la familiarité de cette adresse -, je me permets de te donner un conseil de ti-cul peureux. Fais attention. Dans pas long, quand tu auras fini Le Peuple invisible, ton documentaire sur les Algonquins, on cherchera peut-être à te blâmer pour tous les malheurs subis par les nations autochtones…