Société

Pop Culture : Histoire d’amour

J’ai eu le béguin.

La première fois qu’elle avait attiré mon attention, jouant la chasseresse discrète mais convaincante, j’avais fini par reluquer sous sa jaquette. Je me laisse difficilement séduire: n’étant fidèle qu’à moi-même, l’engagement de quelques heures auquel elle me demandait de consentir dépassait largement ce que j’offrais de disponibilité. Mais elle avait été patiente. Et elle avait fini par gagner mon intérêt.

Aussitôt sous la couverture, elle m’avait fait découvrir toute cette liberté de laquelle elle ne démordait pas. Ces ouvertures franches, cette légèreté inaliénable, ces mouvements surprenants… Elle avait ces beautés délicates qu’on remarque après coup et qui nous harcèlent, cette présence qui envahit.

J’étais charmé. Je vous avais d’ailleurs parlé d’elle sans retenue, à l’époque. J’avais ce noeud qui m’empoignait les tripes, et c’est une chronique qui m’avait permis de dénouer le tout. Dès lors, j’ai eu envie de tenter le coup. Pourquoi pas? J’avais le béguin pour cette jeune maison d’édition…

Nous avions plusieurs points en commun… Un goût prononcé pour le vers blanc, un intérêt pour la mise en chair du fait poétique, une passion pour les frasques de l’art et la soumission totale à une intransigeante liberté. Commençait le flirt, avec tout ce qu’il a d’insécurisant.

On peut être passionné, se donner à fond dans ce qu’on fait et malgré tout ne pas réussir. À quelques reprises, déjà, j’avais cacheté, timbré, posté des manuscrits auxquels je croyais. Des envois restés lettre morte. Si aujourd’hui je comprends mieux pourquoi, c’était moins le cas à l’époque…

Relire, remoudre, refaire. Chercher à se convaincre qu’il faut cesser de craindre. Se lancer. J’ai beau vivre de mes mots, quand est venu le temps de choisir lesquels j’allais soumettre à l’inquisition éditoriale de La Peuplade… On a beau être sûr de soi devant l’écran, on renoue rapidement avec l’humilité et l’incertitude. Au moment même où j’écrivais une chronique dans laquelle j’exhortais la relève de la région à prendre d’assaut notre blogue pour se faire connaître, je vivais les pires angoisses. De celles qui vous font douter. De celles qui font reculer. Un refus est toujours très difficile à accepter. Quand on a l’impression d’avoir craché ses tripes sur papier, que tout y est. Quand on se laisse croire que ce qu’on a fait est bon. Pas évident, vraiment. Il n’est pas long que s’installe l’insécurité et que les textes s’empilent dans un fouillis spiralé. C’est une histoire qu’on a lue souvent…

On se fait avertir qu’une publication ne change pas le monde – encore moins lorsqu’il s’agit d’un recueil de poésie. On nous parle des corrections abusives et irréfléchies – voire mécaniques – de certaines maisons. "En poésie, quand tu vends 150 recueils, c’est bon", entend-on dans le milieu. Et flotte toujours comme un spectre le cauchemar de la mise au pilon, la destruction massive des invendus. Tous ces mots qui meurent avant d’avoir pu dire. Il suffit de connaître un poète ayant déjà publié pour être désillusionné. De toute façon, a-t-on déjà vu un recueil de poésie best-seller? Or – heureusement, il y a une telle conjonction – il existe de nouvelles maisons d’édition qui redonnent le goût, à mille lieues de celles qu’on s’imagine, froides et intransigeantes. Et commence mon aventure avec l’équipe de La Peuplade, qui préfère parler de suggestions plutôt que de corrections, qui croit qu’un recueil vendu à 150 exemplaires a simplement été mal diffusé et qui se refuse toute mise au pilon, quoi qu’il se produise. Comme pour toute histoire d’amour, impossible de savoir ce qu’il en adviendra; l’important, c’est de s’y abandonner. Mon seul regret, c’est que je ne pourrai plus vous parler moi-même de ce qui sera publié par la Peuplade – éthique exige.

Mais ce n’est pas la seule maison d’édition cherchant à susciter un nouveau rapport au livre, le respectant au-delà d’un simple produit périssable. Je pense au Quartanier, entre autres, qui a publié Hervé Bouchard. Comme dans le milieu des arts visuels, qui a vu son paysage se diversifier avec l’avènement des centres d’artistes en réaction à l’élitisme des musées et des galeries, on assiste à une évolution semblable dans le milieu de l’édition alors que se multiplie le nombre de petites maisons d’édition originales, menées à bout de bras par des passionnés.

Évidemment, il n’est pas facile de suivre. Il y a tellement d’auteurs, tellement de livres publiés, tellement de maisons d’édition qu’on finit par se fier aux "valeurs sûres". Les représentants des médias – et plusieurs amateurs de lecture – ont perdu le goût de l’aventure. Nous ne cherchons plus à flirter avec l’inconnu. Lorsque nous découvrons un auteur qui nous intéresse, nous le saignons de tout ce qu’il a écrit. Jusqu’à ce qu’on nous conseille une autre belle main. Et ainsi, nous passons à côté d’une multitude d’aventures un peu folles aux accents de liberté.

Jean-Jules Soucy, nouveau collaborateur de Séquence, ouvrira le centre de documentation les mardis, de 18h30 à 22h30.

Quand nous marchons dans la rue, il y a des regards croisés, des sourires sublimes auxquels nous ne donnons pas suite. Nous passons notre chemin. Et pourtant, quand on parle de littérature, il faut être infidèle. N’ayez aucune loyauté. De toute façon, on le sait, maintenant, "il n’y a que les chiens qui sont fidèles".

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SAGUENAY/ALMA: À PERTE DE VUE

Dans notre blogue, voyez des nouvelles de Jean-Jules Soucy, nouveau collaborateur de Séquence, et de Code d’éthique, un groupe skacore de la région qui a joué avec les Vulgaires Machins le 20 octobre.