Refugees All Stars : Réfugiés un jour, réfugiés toujours
Société

Refugees All Stars : Réfugiés un jour, réfugiés toujours

Les Refugees All Stars reviennent à Montréal après un passage éclair cet été. Reggae de survie, message fort et vécu plus que poignant: voici un groupe qui ne laissera personne indifférent.

C’est une autre guerre oubliée. Avec son nom espagnol exotique, la Sierra Leone est ce pays d’Afrique occidentale sur le bord de l’Atlantique avec des plages magnifiques et des diamants à revendre. Sauf que depuis dix ans, ses citoyens y ont vécu les pires atrocités. Tenus en otages par des rebelles venus de l’Ouest et du Sud qui brûlaient les maisons et pratiquaient systématiquement l’amputation et le viol, plus de trois cent mille personnes aux abois se sont déportées volontairement, la plupart à la frontière nord, vers la Guinée voisine.

"On avait entendu des histoires d’horreur venant des provinces reculées, mais quand les rebelles ont débarqué à Freetown à l’invitation de Colin Powell, on les a vus de nos yeux", explique Reuben Konoma depuis là-bas avec autant d’émotion que de minutie. "Avec la présence des forces de paix des Nations Unies dans la capitale, poursuit-il, on a d’abord cru que c’était la fin de la confrontation. Mais c’était une situation explosive et tout s’est détérioré assez rapidement."

Batteur et chanteur du groupe reggae Sierra Wailers surnommé "Les Messies", Reuben le rasta se retrouve pris entre deux feux. Les rebelles prennent d’abord le contrôle du quartier de Lungi, où il habite, près de l’aéroport international, et il sera capturé par les forces gouvernementales qui le soupçonnent, à cause de sa chevelure, de faire partie des troupes ennemies.

"J’ai été gravement torturé, me confirme Reuben avec sa voix placide mais sans équivoque possible. Les soldats guinéens sont arrivés du nord et ont

tenté de calmer le jeu, démontrant à l’armée locale l’ampleur de ses erreurs.

Menacé de mort, j’ai du couper mes dreads et partir avec Grace vers la frontière la plus proche."

Grace est chanteuse, c’est la femme de Reuben. Ils se sont rencontrés dans un de ces hôtels pour touristes à une époque où personne ne voyait poindre le spectre de la guerre civile. Ils retrouvent Franco (guitariste) et Arahim dans les camps de réfugiés. D’abord à Kalia, où la situation devient vite très précaire, puis à Sembakounya, en Guinée Conakry, où ils écrivent plusieurs chansons et jouent dans les abris de fortune. Leur mission: chanter leur vérité et réchauffer les coeurs. Une fonction doublement vitale.

Ce sont deux jeunes documentalistes américains, Baner White et Zach Niles, qui vont faire la renommée internationale de cet "all stars" de réfugiés improvisé par le destin. "On leur doit tout à ces gars-là, insiste Reuben. Ils nous ont rendus populaires dans le monde entier. Grâce à eux aujourd’hui, on peut gagner nos vies avec notre métier de musicien." Pendant trois ans, les journalistes filment leurs galères camp après camp et leur retour à la maison, en 2004, dans un pays détruit. Un message d’espoir, un témoignage vibrant d’humanité comme la musique de ce premier album, Living Like a Refugee, enregistré sans artifice et dans lequel une majorité de la population africaine se reconnaît d’emblée.

Ça tombe bien, tout est à reconstruire là-bas. Reuben explique que c’est une question de bon sens: "Tu tournes la page et tu recommences une nouvelle vie. Et puis tu prêtes main-forte à ton voisin parce que lui non plus n’a plus son logis." L’Afrique n’est pas encore stable et le chômage et la pauvreté sont encore bien présents à Freetown où l’on attend sans illusion le procès de l’ex-dictateur Charles Taylor. Des résolutions après tout ce tumulte?

"Un pays civilisé ne devrait aucunement tolérer qu’on mentionne l’ethnicité comme un problème. C’est une dangereuse source de conflit. Il faut penser à la nation elle-même. Il faut travailler en collectivité".

Aujourd’hui, il fait 35 degrés en Sierra Leone. À la radio on écoute du goombay local, du reggae, du hip-hop, du soul et du calypso. Et du Refugee All Stars à profusion. Parce que c’est ça, leur vérité.

Au Spectrum
le 31 octobre à 20 heures
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