Vampirisme et porphyrie: la réalité derrièrele mythe : Vampirisme et porphyrie: la réalité derrière le mythe
Société

Vampirisme et porphyrie: la réalité derrièrele mythe : Vampirisme et porphyrie: la réalité derrière le mythe

Sensibilité accrue au soleil et à la lumière, pilosité abondante, déformation des dents, possibilité de troubles neuropsychiques, intolérance à l’ail… Ces symptômes vous disent quelque chose? Peut-être vous font-ils penser au vampirisme? En fait, il s’agit plutôt des symptômes d’une maladie bien réelle qui pourrait être à la base du mythe des vampires et des loups-garous: la porphyrie.

Manon Doucet compte parmi la centaine de personnes atteintes de cette maladie au Québec. Selon elle, bien faire comprendre les tenants et les aboutissants de ce mal peut parfois être hasardeux. "Souvent, les gens ne savent pas ce que c’est, alors tu leur expliques, et, à la fin, tu parles du mythe des vampires… Et dès que tu dis le mot "vampire", tu perds toute crédibilité", déplore-t-elle.

Il faut dire que les parallèles sont faciles à établir entre les mythes et la maladie, ce qui peut mener rapidement à une généralisation. "Pour tout le monde on est des vampires, on est des loups-garous", ironise François Michaud, l’un des premiers à avoir milité pour le traitement de cette maladie dans la province. "Il y aura toujours des gens qui voudront faire du sensationnalisme avec ça", poursuit-il. François indique que quelques bases de comparaison entre vampirisme et porphyrie restent correctes. "Mais nous, nos dents, elles ne poussent pas. Ce sont nos gencives qui se rétractent et qui saignent", précise-t-il.

Le combat contre ces stéréotypes, chacun le vit différemment. À la limite, on pourrait presque croire que Manon Doucet les encourage: habillement aux tendances gothiques, pratique de la religion Wicca et de sa magie blanche. Malgré le fait qu’elle pratiquait cette religion bien avant de comprendre sa maladie, elle admet que le désir de provoquer reste présent. "À force de me faire pousser dans le dos, je veux choquer", continue-t-elle. Elle évoque notamment l’idée d’un groupe métal, monté avec des amis, dans lequel elle aimerait s’afficher comme une "vampire porphyrique". "Les gens croient tellement à tout sauf à eux-mêmes", philosophe-t-elle.

Plus âgé, François Michaud estime qu’il est passé à une autre étape de sa relation avec la porphyrie. "Au début, on est scandalisé, ensuite, on a envie de provoquer, puis ça se calme. On essaie de vivre avec la maladie le mieux qu’on peut", poursuit-il. Cependant, ce qui rend la porphyrie particulièrement difficile à vivre, c’est la solitude qui l’accompagne, le manque de soutien. "Il n’y a personne ou presque qui sait ce que c’est, il n’y a pas de groupes de soutien, il n’y a rien. Vous êtes seuls avec votre maladie", déplore-t-il, soulignant qu’il ne "la souhaiterait pas à son pire ennemi". "C’est le pire mal que je connaisse", considère François Michaud.

Selon la Canadian Porphyria Foundation, ce mal héréditaire n’est pas uniquement une maladie du sang, mais celui-ci se trouve tout de même à sa base. C’est tout particulièrement l’hème, une molécule contenue dans l’hémoglobine, qui est concerné. L’hème renferme des porphyrines qui, à cause d’un enzyme déficient, en viennent à se détacher, à se libérer dans le sang et à causer divers troubles. Par exemple, lorsque le corps d’un malade est exposé au soleil, plutôt que de bien recevoir l’énergie solaire, il la convertit en énergie toxique pour ses propres cellules. "Essentiellement, je m’empoisonne avec mon sang", résume Manon Doucet.

D’ÉPREUVES EN ÉPREUVES

Quoi qu’en soient les fondements scientifiques, la maladie reste difficile à vivre. L’hypersensibilité à la lumière peut transformer en épreuve une simple visite à l’épicerie. "Après 20 minutes au soleil, je peux avoir plein de cloches d’eau", indique Manon Doucet. Il s’agit ainsi d’enfiler pantalon long, chandail à manches longues, gants et chapeau au sortir du domicile.

Depuis sa première crise, elle apprend à mieux comprendre cette maladie et à mieux la combattre, question d’être là le plus longtemps possible pour ses enfants. "Après le deuxième accouchement, ma santé a commencé à baisser d’aplomb, à décliner", indique-t-elle. À force de faiblir, elle s’est retrouvée dans un fauteuil roulant. "Mais j’avais toujours en tête que j’étais pour guérir parce qu’il fallait que je sois là pour mes deux filles", poursuit Manon Doucet.

Cet état de faiblesse extrême, François Michaud l’a aussi ressenti lorsqu’il a perdu l’usage de ses jambes quelque temps. "J’ai compris que j’avais cette maladie après avoir eu ce qu’on pensait être trois infarctus en cascade, pour lesquels on n’avait jamais découvert de caillots. Dix jours plus tard, j’avais des problèmes à marcher: mes jambes ne répondaient plus", se rappelle-t-il. Pendant deux années et demie, il a dû aller à l’hôpital chaque semaine. Au fur et à mesure des tests, ses médecins et lui ont découvert l’existence de la porphyrie, qui correspondait en tous points aux symptômes dont il souffrait.

SANG ET NORMOSANG

Une fois la maladie découverte, et puisque tous les symptômes concordaient, François Michaud a fait des pressions auprès des autorités pendant deux années afin de pouvoir obtenir un traitement adéquat. C’est que ce traitement, appelé "normosang", utilisé en Europe pour traiter la maladie, n’était pas disponible au pays. Selon Santé Canada, cela est dû au fait qu’Orphan, la compagnie qui le distribue outre-mer, n’en a simplement pas fait la demande. Comme il n’est toujours pas approuvé, il a fallu le placer sur une liste d’exception pour en permettre l’importation. À force d’efforts, François Michaud a donc fait de l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil, sa ville d’origine, le seul établissement dans la province équipé pour traiter la porphyrie.

Pour Manon Doucet, la situation est différente: il lui manque encore un symptôme pour obtenir un diagnostic de porphyrie hors de tout doute. Certains traitements médicaux deviennent ainsi inaccessibles, ce qui l’oblige à utiliser d’autres méthodes curatives. Il s’agit d’éviter les facteurs déclencheurs, de consommer beaucoup de glucose, souvent jusqu’à écoeurement, de prendre de nombreux médicaments. À cela s’ajoute un autre élément: le sang de boeuf. C’est un médecin qui, un jour, a suggéré à Manon Doucet d’en consommer. "Ça m’a vraiment pris du temps avant de l’essayer, et même là, t’as une répulsion automatique, à cause du sang. Mais j’ai essayé, et ça a fonctionné", explique-t-elle.

Le changement a été progressif, mais évident. L’état permanent de faiblesse dans lequel elle se retrouvait à cause de la maladie s’est résorbé. "J’ai été capable de marcher à nouveau, je n’ai plus eu besoin de chaise roulante", note-t-elle, ajoutant du même souffle que cela lui a permis d’être plus présente pour ses deux filles. "C’est certain qu’il y a des gens qui me trouvent bizarre, mais moi, je me suis habituée à mon style de vie. Selon moi, je suis normale", souligne Manon Doucet.