Comme si le débat au sujet des droits des minorités n’était pas déjà suffisamment complexe, voilà que le monde du sport s’y met.
L’histoire se déroule ici même, au plusse-meilleur-pays-du-monde, et il y est question de vélo. De vélo de montagne pour être précis, d’une discipline moins bien connue du grand public qu’on appelle la descente.
Pour ceux qui ignoreraient tout de cette épreuve sanctionnée par l’Union cycliste internationale (UCI), la descente (ou downhill) est une course contre la montre, dans un parcours défini où l’on doit dévaler une montagne dans des conditions que les néophytes qualifieraient sans l’ombre d’un doute de suicidaires. Sauts, billots, passages rocailleux, racines mouillées, secteurs escarpés, et des pointes de vitesse à vous faire dresser les cheveux sur la tête.
Dans cette discipline qui demande force, énergie, intelligence et courage, la championne canadienne se nomme Michelle Dumaresq. Et c’est justement autour d’elle que plane le parfum de scandale et de controverse qui nous intéresse ici.
Court retour dans le temps.
À la fin de l’été dernier, sur le podium, alors que Dumaresq savoure une autre victoire aux championnats canadiens, la seconde marche de l’estrade est occupée par une coureuse visiblement frustrée: Danika Schroeter.
Pendant la remise des médailles, cette dernière exhibe fièrement un jersey sur lequel on peut lire: Championne canadienne 100 % femme.
Malaise généralisé, Dumaresq quitte le podium en larmes. Une fois de plus, elle est confrontée à une réalité qu’elle tente d’occulter par tous les moyens, mais qui la rattrape sans cesse: six ans avant de prendre son premier départ comme coureuse de descente et, cette même année (2001), de remporter son premier championnat, Michelle était un homme.
Et pas le plus petit bonhomme qui soit. Baraquée, ma shape à peu près (un peu moins de 6 pieds, 180 lbs), elle domine outrageusement le circuit canadien de descente féminine, une discipline où, inutile de le préciser, une bonne carrure n’est pas un atout négligeable. Sans parler de la masse musculaire, de la force.
Sauf qu’aux yeux de la loi, Michelle est une femme. C’est ce que dit son certificat de naissance – modifié selon le protocole de changement de sexe -, c’est donc aussi ce que stipulent son passeport et son permis de conduire. Plus encore, à ses propres yeux, Michelle a toujours été une femme. "Je considère que c’est un défaut de fabrication, j’ai toujours su qu’au fond, j’étais une femme, j’en suis convaincue depuis l’âge de cinq ans", a-t-elle déjà dit et répété en entrevue.
S’appuyant sur le droit, l’Association cycliste canadienne (ACC) a rendu une décision lui permettant de courir en tant que pro avec les femmes au niveau national. Dans le sillage de cette décision controversée, l’UCI a emboîté le pas. Des jugements qui confortent la coureuse transgenre dans sa position: c’est de son plein droit qu’elle compétitionne avec des femmes.
Ce qui n’empêche pas les autres cyclistes de manifester leur désaccord.
Depuis cinq ans, de nombreuses coureuses contestent la validité de la décision de l’ACC, considérant injuste d’avoir à faire face à un "homme transformé", quelqu’un qui part physiquement avec une longueur d’avance sur elles, arguant qu’il s’agit d’une forme de triche, un peu comme du dopage, ou une modification génétique.
Ce qui n’est qu’à moitié vrai, puisque le niveau de testostérone de Dumaresq est légal (elle prend de l’oestrogène et n’a plus de testicules), mais la physionomie de base, elle, change tout. Cela fucke complètement l’égalité des chances pour ces filles qui doivent se battre contre ce grand et gros bonhomme devenu une femme.
Dans un sens, je compatis avec Dumaresq. Elle s’entraîne fort, son talent est incontestable. Je comprends que, dans sa tête, elle voudrait seulement être considérée comme une femme au même titre que les autres, puisque, toujours dans sa tête, elle en a toujours été une.
D’autant que la société accepte la chose, et lui a permis de retrouver le corps qu’elle aurait dû avoir à la naissance. De corriger ce que Michelle considère comme un moment d’inattention de la nature.
Le changement de sexe est donc un droit, demandez-vous?
Oui, on peut dire. Michelle est née handicapée. Une femme dans un corps d’homme. La technologie médicale permet de résoudre le problème, alors on lui vient en aide. Comme on permettra à un aveugle de retrouver la vue si possible, comme on confectionnera une prothèse à l’enfant né sans mains.
Mais si changer de sexe est un droit, faire de la compétition de vélo de montagne au niveau professionnel et aller crisser des volées aux filles, est-ce un droit ça aussi?
Certainement pas. Et c’est exactement là que cette chronique devait aller: jusqu’au bout de l’accommodement raisonnable, dans l’illustration du point de rupture dans le rapport entre le collectif et l’individu.
Ce n’est pas un droit d’être cycliste professionnelle, comme ce ne serait pas un droit pour l’enfant né sans mains de jouer au hockey pour le Canadien avec des prothèses plus performantes que de vraies mains.
Life’s a bitch? Ben oui, Chose.
Michelle Dumaresq est née avec le mauvais sexe. C’est injuste. Mais faut-il pour autant soumettre ses consoeurs à une autre injustice pour lui permettre de vivre tout ce qu’elle veut, comme elle l’entend?
Nous sommes tellement englués dans cette damnée rectitude politique qui nous fait craindre de subir l’opprobre des porte-parole de notre société bien-pensante que nous – et les institutions qui nous représentent – préférons nous taire.
Que Dumaresq se batte, ce n’est que normal. Et saluons donc sa pugnacité tant qu’à y être. Car cette fille, même après la grande opération, a encore plus de couilles que les institutions qui auraient dû lui dire non, mais qui préfèrent se soumettre à des accommodements parfaitement déraisonnables.