La Peau et les Os, après… : Le cri du corps
Société

La Peau et les Os, après… : Le cri du corps

Dans La Peau et les Os, après…, la cinéaste Hélène Bélanger-Martin pose sur les troubles du comportement alimentaire un regard personnel, teinté d’une profonde réflexion. Rencontre avec la réalisatrice qui, avec ce film nécessaire, brise le poids du silence.

Une fillette fluette arpentant les couloirs de l’hôpital Sainte-Justine, demandant avec un filet de voix qu’on la nourrisse exclusivement d’aliments "qui ne font pas engraisser". Une jeune fille squelettique, défiant un médecin avec arrogance: "Suis-je la personne la plus maigre que vous ayez jamais vue?" "Non, j’ai vu pire", lui répond-il. La déception se lisant immédiatement sur son visage, la jeune fille laisse tomber une exclamation de rage. Ceux qui ont vu La Peau et les Os de Johanne Prégent ne sont sûrement jamais arrivés à sortir ces images-chocs de leurs têtes. Hélène Bélanger-Martin, elle, n’a jamais oublié. Et pour cause: elle y incarnait le rôle d’Andréanne, anorexique. Son jeu était d’autant plus réel qu’à peine quelques heures avant de tourner sa toute première scène, elle reposait elle-même sur un lit d’hôpital, à l’unité des soins spécialisés en troubles alimentaires. Les années ont passé, mais, en la croisant, les spectateurs marqués par son "personnage" n’ont jamais cessé de lui confier leurs propres problèmes liés à la maladie. Au supermarché, dans la rue, au restaurant… Au coeur de ces confidences livrées en chuchotant, une question revenait pourtant à répétition: "Peut-on s’en sortir?" Dix-sept ans après avoir témoigné devant la caméra, Bélanger-Martin a donc choisi de passer derrière, afin de "prêcher par l’exemple". Entourée de trois amies ayant toutes gagné leur lutte contre l’anorexie et la boulimie, la jeune femme est revenue dans les traces de son passé. Un passé marqué par le jeûne, les laxatifs et cette terrible peur de mourir qui tenaille le ventre. En est ressortie une oeuvre intelligente, touchante, mais surtout importante. Car si les temps changent, la maladie reste. Différente sous certains aspects, certes, mais toujours aussi menaçante: "Pendant mes recherches, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui la vivent en ce moment, raconte la cinéaste. Et mon Dieu que la détresse, je la reconnaissais! Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, les jeunes filles portent des vêtements courts même si elles sont très minces. Il y a 20 ans, on se cachait, on ne voulait pas se faire poser de questions. Je crois que c’est surtout une question de mode. On pointe du doigt l’obésité, on en fait quelque chose de gênant. Du coup, la maigreur apparaît comme étant beaucoup moins choquante." La seconde différence qui a émergé de ces recherches, c’est l’automutilation. Après une première réaction de rejet, Bélanger-Martin a décidé de ne pas juger, mais plutôt de tenter de comprendre ce qui pousse les malades à s’infliger des cicatrices, et surtout à les montrer sans gêne aucune: "J’ai interrogé beaucoup de spécialistes, mais ils sont très divisés. Comme c’est un phénomène relativement nouveau, on n’a pas fini de le comprendre. Il y a bien sûr la tension intérieure, ainsi que l’aspect punitif. Mais pour moi, c’est surtout un appel à l’aide clair: Regarde! Aide-moi! Prends-moi dans tes bras!"

"Prends-moi dans tes bras." La formule est simple, pourtant lorsque Charlotte la prononce, elle semble porter en elle toute la détresse du monde. Charlotte, 17 ans, est anorexique. Elle témoigne dans le film avec une froideur déroutante. Mais vient ce moment où la carapace éclate. Et dessous, on devine l’immense douleur. Le seul visionnement de la scène fait mal. Car on comprend que les troubles alimentaires ne sont pas seulement causés par ces photos de jeunettes émaciées en culottes courtes qui nous narguent à partir de leur univers glacé de magazine: "Les pressions sociales peuvent enclencher le trouble, explique Bélanger-Martin, mais il n’y a pas que cela. Le manque d’estime de soi, les problèmes familiaux, la génétique… Je voulais que l’on comprenne à travers mon film que le dénominateur commun, c’est le mal-être et la détresse personnelle. Sinon, ça fait superficiel. Et ce n’est pas une maladie superficielle. C’est une maladie grave et profonde."

Question superficialité, on lui mentionne l’interdiction imposée aux mannequins trop maigres de défiler sur la passerelle à Madrid. D’emblée, la réalisatrice dit avoir applaudi à l’initiative. "Être mannequin, c’est un métier extrêmement dur, où le corps est traité comme une marchandise. Sauf qu’on a tendance à oublier qu’il y a un être humain à l’intérieur de ce corps-là!" Par contre, lorsqu’on lui parle d’Elizabeth Hurley qui a proclamé qu’elle se suiciderait si elle devenait un jour "aussi grosse (sic!) que Marilyn Monroe", la jeune femme ne peut s’empêcher de laisser exploser sa rage: "Honnêtement, c’est scandaleux! C’est complètement ridicule!"

Avec La Peau et les Os après…, Bélanger-Martin dit pourtant avoir bouclé la boucle: "Je ressens une liberté que je n’avais pas avant de faire ce film, car j’avais encore honte de certaines affaires. Aujourd’hui, la honte ne m’appartient plus."

La Peau et les Os, après… d’Hélène Bélanger-Martin
En salle dès le 3 novembre

La Peau et les Os de Johanne Prégent
Le dimanche 5 novembre à 22 h sur Canal Vie