Société

Ennemi public #1 : Le néoservice des plaintes

Que de questions, que d’insultes, que d’énervement à propos des dernières chroniques! Ce sera donc un de ces bons vieux courriers du lecteur, un service des plaintes comme vous en avez l’habitude.

On commence avec les insultes, en réaction à ma position concernant Michelle Dumaresq, cette coureuse cycliste transgenre (un homme devenu femme) dont je vous parlais la semaine dernière, et aussi à ma réponse aux propos de Robert Lepage il y a quelques semaines:

"Vous vous disiez dernièrement raciste… bien vous êtes aussi ségrégationniste… Néoraciste, néosexiste, néoségrégationniste, toutes ces nouvelles façons de dénigré (sic) de séparer, de mépriser sous couvert de réalisme, de lucide (re-sic) ou de raisonnable (re-re-sic)… vous me puer (re-re-re-sic) au nez monsieur." Signé S.L., Québec

Oh là, et vous, vous êtes néo-illettré, ou juste néodébile?

J’ai écrit que je suis raciste, c’est vrai. J’ai dit que tout le monde avait ce petit racisme en dedans. Un cancer de la pensée qu’on doit connaître parce que c’est avec le diagnostic que débute la guérison. Vous ne comprenez pas que cet aveu de racisme, c’est un combat contre soi-même, contre ses propres préjugés, contre sa propre attitude de "ma culture est meilleure que la tienne" et que d’admettre ce petit racisme de merde, d’admettre cette prétention à la supériorité, c’est faire le premier pas vers une tolérance qui ne sera pas composée de prétendues bonnes intentions ou de rectitude politique, mais d’une véritable tentative de comprendre l’autre?

Toujours à propos de l’affaire Dumaresq: "L’auteur de cet article a oublié un point important. La fédération canadienne a soutenu Mme Dumaresq, et la concurrente qui l’a attaquée s’est vue privée de compétition pendant trois mois. Ce n’est qu’à la suite de cette sanction qu’elle s’est excusée." Marie-Noëlle Baechler, Suisse

Ce que vous avancez n’est pas tout à fait exact. La suspension de Danika Shroeter (pour s’être présentée sur le podium vêtue d’un maillot sur lequel elle avait écrit: "Championne canadienne 100 % femme") est le résultat de négociations avec l’Association cycliste canadienne (ACC), qui lui a, malgré cette sanction, permis de prendre part aux Championnats du monde en échange d’excuses officielles. L’ACC a surtout voulu insister pour que les podiums des championnats canadiens ne servent pas de plateforme à la diffusion de messages offensants.

Ce que j’en pense? C’est une bonne décision. Mais pas nécessairement un appui à Michelle Dumaresq non plus. On sent plutôt l’ACC embêtée par la situation, mais ferme dans ce refus d’un geste inacceptable, geste qui traduit cependant le malaise qui gangrène cette discipline et qui risque de s’étendre à d’autres sports, d’autant que le CIO partage des politiques analogues en ce qui concerne les athlètes transgenres.

Encore Dumaresq: "Michelle a 100 % raison mais le problème est plutôt la ségrégation des compétiteurs selon le sexe. C’est la même chose pour tous les sports. Il faudrait, je crois, avoir des compétitions basées strictement sur l’âge et non le sexe d’une personne." Denis Levert, Rockland

Juste de même: le meilleur temps masculin aux championnats canadiens de descente 2006 est de 3:06. Le meilleur temps féminin, celui de Dumaresq: 3:37. L’écart est immense. Donc, quand on permettra aux hommes de courir contre les femmes, elles ne feront pas même l’équipe provinciale.

Encore d’autres bonnes idées comme ça?

Pour clore le sujet: "André Arthur, sortez de cette chronique." François Quessy

Tiens, ça tombe pile, justement, je me fais pousser la moustache. Et Michelle Dumaresq? Je suppose qu’elle l’épile. Comme bien d’autres femmes d’ailleurs.

On change de sujet, de ton et de registre avec une question personnelle cette fois: "J’aime beaucoup quand vous parlez de livres. (…) Vous lisez quoi en ce moment?" L.P., Québec

Un recueil de nouvelles de John Updike. Solos d’amour, traduit, en format poche chez Points. Dans la première histoire, un homme apprend qu’une de ses maîtresses qui l’a autrefois laissé tomber vient de mourir dans un accident de voiture. Pendant une fraction de seconde, il est saisi par un sentiment de vengeance accomplie. "Ces pensées dures et indignes ne durèrent qu’une seconde, bien sûr – une fulgurante connexion de neurones amoraux avant que ne tombe la douce pluie de tristesse décente."

Ce que j’aime des romans, des nouvelles, c’est que les personnages y sont souvent plus vrais que certains individus qui, comme ceux qui m’écrivent parfois, veulent me faire croire qu’ils sont purs, que jamais, au grand jamais leur esprit n’est traversé par ce genre d’éclair de haine intempestive que l’on chasse vite ou pas, selon notre éducation et le degré d’humanité qui nous habite.

Mais bon, j’aime quand même les gens, vous savez. Je ne suis pas néomisanthrope.

"Dans votre chronique sur les sans-abri ["La Glace est mince", 26 octobre], vous inventez ou si ces gens existent vraiment?" France, Québec

Les deux. La première réflexion que je me suis faite en me présentant à La Nuit des sans-abri, après avoir passé la soirée dans un resto bien bourge, c’était que je ne pouvais juste pas comprendre. Il fallait donc que ce soit quelqu’un d’autre qui raconte. Ce quelqu’un, je l’ai rencontré deux jours plus tard dans la salle commune de la Maison Revivre. Ce que ce narrateur révèle à propos de lui-même est un agrégat de choses que ce type m’a dites et d’histoires que les gens de l’endroit m’ont rapportées.

J’en profite donc pour remercier les employés et les bénévoles de Revivre, qui m’ont généreusement accueilli pour que je puisse écrire ce papier, et tous ceux qui m’ont fait don de leurs histoires, malgré que je sois un néoségrégationniste, néoraciste, néosexiste et que je pue.