Jocelyn Berthelot : Cas d’école
Dans son nouvel essai, le chercheur Jocelyn Berthelot interroge les effets de la mondialisation sur le système scolaire et se bat pour l’égalité des chances et la promotion d’un modèle d’éducation plus juste au Québec.
"Certaines personnes naissent avec des privilèges grâce à leur héritage culturel ou social. L’école devrait promouvoir l’égalité des chances en essayant de donner à tous la formation la plus complète possible, mais aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit: l’éducation renforce les inégalités!" s’exclame Jocelyn Berthelot. Cet ancien chercheur à la Centrale des syndicats du Québec, retraité depuis juin, vient de publier l’essai Une école pour le monde, une école pour tout le monde (Vlb éditeur), un plaidoyer humaniste en forme de sonnette d’alarme sur les dangers menaçant l’éducation québécoise dans le contexte actuel de la mondialisation. "Aujourd’hui, les lois du marché et de la concurrence semblent prévaloir dès le berceau et la presse publie sans arrêt des palmarès des meilleures écoles primaires ou secondaires. Comme toute entreprise, les établissements scolaires se doivent désormais d’avoir des résultats, de prouver leur valeur. Les écoles publiques sont dénigrées au profit de l’école privée payante… À Montréal, c’est comme si la carte scolaire renforçait les phénomènes de ghettoïsation", s’indigne le chercheur.
UN PHÉNOMÈNE MONDIAL
En étudiant les transformations subies par les systèmes scolaires de différents pays occidentaux comme ceux du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie ou des Pays-Bas, ces dernières années, Jocelyn Berthelot a constaté d’étonnantes similitudes. "On prétend que les valeurs du système privé permettront au système éducatif de s’améliorer, qu’une "saine compétition" obligera les établissements à augmenter la diversité des offres de formation, qu’une plus grande "autonomie" leur permettra de mieux s’adapter aux besoins des élèves… Le problème, c’est qu’un tel système ne bénéficie qu’aux plus riches. Les gens ordinaires n’ont pas les moyens de choisir la meilleure formation pour leurs enfants", constate-t-il.
Dans tous les pays étudiés, il a observé une présence accrue du secteur privé dans le domaine de l’éducation: aux États-Unis, ce sont désormais des entreprises privées de "l’industrie de l’éducation" qui sont chargées d’établir certains programmes scolaires ou de corriger les examens nationaux; dans les universités, les grandes multinationales sont devenues les nouveaux commanditaires des centres de recherche, mettant en péril l’autonomie et l’intégrité des chercheurs; au Canada, 56 % des écoles secondaires ont des contrats d’exclusivité avec les entreprises Coke ou Pepsi…
"Quand on se compare, on se console, et c’est vrai que notre modèle québécois offre encore de nombreux avantages: la publicité est interdite à l’école, l’enseignement collégial est gratuit et l’enseignement supérieur est peu coûteux… mais notre système est menacé, sapé par les privilèges des mieux nantis économiquement et scolairement", s’inquiète le chercheur.
UN SYSTÈME INÉGALITAIRE
Pour appuyer son propos, Jocelyn Berthelot rappelle dans son ouvrage un certain nombre de statistiques. En 2001-2002, le taux de décrochage était deux fois plus élevé dans les écoles secondaires de milieux pauvres que dans celles de milieux favorisés. En 2001, seuls 35 % des 18-24 ans dont les parents avaient un revenu inférieur à 25 000 $ étaient inscrits au cégep et seulement 18 % à l’université, tandis que ces proportions étaient respectivement de 50 % et de 37 % pour les jeunes issus de familles dont le revenu dépassait 100 000 $ (source: Statistique Canada). Et si, au Québec, un élève sur cinq fréquente aujourd’hui un établissement secondaire privé, il s’agit surtout d’élèves riches. Selon une étude de 2005 réalisée pour le compte de la Fédération des établissements privés, 72 % des élèves de ce réseau provenaient de familles dont le revenu était supérieur à 60 000 $. Parmi eux, plus de 32 % étaient issus de familles disposant de plus de 110 000 $ par an, alors que près de 60 % de la population québécoise dispose d’un revenu annuel par foyer inférieur à 60 000 $. "Je ne jette pas la pierre aux parents qui envoient leurs enfants à l’école privée: ils font ce qui leur semble le mieux pour leurs enfants! Ce qui me choque, c’est que notre gouvernement subventionne un tel système inégalitaire. Est-ce normal de donner de l’argent à des établissements qui sélectionnent les élèves selon leur portefeuille ou leurs capacités, alors que dans le même temps, rien n’est fait pour les écoles pauvres ou pour aider ceux qui en auraient le plus besoin? Nous avons fait le choix d’une école francophone et, en 1997, nous avons décidé d’abolir les privilèges accordés à certaines religions… Aujourd’hui, nous devrions faire le choix d’une école pour tous!", affirme-t-il.
Une école pour le monde, une école pour tout le monde
De Jocelyn Berthelot
Vlb éditeur, 2006, 224 p.