Pop Culture : Black Power
BLACK POWER(Les idées noires de la page blanche à Black)
C’est parfois un cauchemar de voir ce qui est publié dans les pages d’autres journaux. Et le plus désemparant, c’est cette triste impression que, si je m’insurge, on mettra ça sur le dos d’un concurrence agressive déployée sans retenue. Mais cette fois, c’est critique. Pas question de me taire.
À toutes les semaines, dans le Progrès-Dimanche, on publie une nouvelle "page blanche à Black". Quand Roger Blackburn parle de ses souvenirs de pêche ou de son intérêt pour les fesses des femmes chevauchant leur vélo, ça passe toujours. On se dit que ça prend de tout pour salir une page blanche. Mais dans l’édition du 29 octobre, ce pauvre Black y est allé d’une grossière et surtout dangereuse bourde.
Voici quelques extraits de la chronique de Black:
À quand l’euthanasie?
(…)
Si, un jour, je suis incontinent, si je ne reconnais plus mes enfants, si on est obligé de me faire manger et que j’égrène mes jours avec d’autres vieux en chaise roulante et qu’on déplace ma chaise, d’une fenêtre à l’autre, pour changer le mal de place, je veux qu’on m’euthanasie, je veux qu’on m’enlève la vie, je veux qu’on me libère de cette prison indigne de l’Homme, je veux qu’on soulage mes enfants et la société de ce fardeau que je serai devenu.
(…)
D’autres m’ont raconté à quel point la maladie d’Alzheimer avait détruit leurs parents qu’ils ne reconnaissent plus et qui dépendent du personnel médical et des bénévoles pour vivre. Il s ne pourraient survivre longtemps sans l’acharnement thérapeutique.
(…)
À quand, un débat sur l’euthanasie?
Un discours comme le sien est dangereux. Pas pour ce qu’il veut dire, mais pour ce qu’il dit.
Un discours comme celui-là prouve que l’ignorance la plus crasse – ou l’incompétence la plus douteuse, vous choisissez – mène au fascisme et à l’utilitarisme le plus ignoble.
"À quand, un débat sur l’euthanasie?", demande le chroniqueur de la page blanche… Quand les gens comprendront ce que c’est, l’euthanasie. Parce que trop de pseudo-scribes cherchant à verser dans le sensationnalisme le plus abjecte diluent la signification du terme euthanasie, le rendant ainsi plus facile à accepter.
Il est primordial que la population soit justement informée sur le sujet et Roger Blackburn devrait s’empresser de corriger sa bourde. L’euthanasie tient du meurtre, pas du suicide assisté – comme il semble le croire. On euthanasie un chat, un chien, lui donnant la mort pour lui éviter des souffrances à venir. Les Nazis ont euthanasié des juifs, des vieillards, des handicapés – qui pour eux n’avaient plus de dignité – dans un massacre qui a replié l’histoire. Prôner l’euthanasie pour les vieillards incontinents qui ne reconnaissent plus leurs enfants, pour ceux qui sont en chaise roulante, qui souffrent d’Alzheimer, dire que tous ces gens ont perdu leur dignité et les présenter comme un fardeau pour la société, c’est non seulement dangereux, mais inacceptable.
Il faut tuer dans l’oeuf ce genre de discours qui, avec le vieillissement de la population, pourrait devenir plus présent. Je me souviens d’une entrevue que m’a accordée Larry Tremblay, auteur de "La Hache", l’un des trois récits de son recueil intitulé Piercing (éditions Gallimard, 2006). Pendant notre entretien, il a soutenu que tous les génocides avaient commencé par une dédramatisation de la haine, par des propos tenus entre autres par les médias et contre lesquels les gens ne se sont pas insurgés, ce qu’il dénonce évidemment dans son récit.
Il affirmait alors : "Le génocide, c’est une chose qui a été écrite, planifiée, organisée, médiatisée, pensée, technocratisée avant d’être mise en branle. C’est donc un phénomène de civilisation, et c’est ce qui m’a fait peur. Parce que les génocides sont voulus par l’homme et planifiés. Ils ont tous été écrits. Au Rwanda, avant que tout cela n’éclate, en 1994, il y a eu plein de gens qui, à la radio, à la télévision, dans les journaux, incitaient au crime haineux."
Je réitère mon avertissement. Ouvrir la porte à l’euthanasie pour "soulager la société de ce fardeau" que seraient les vieillards et les impotents est un discours dangereux. Qu’un média de la région laisse un journaliste soutenir des propos aussi maladroits m’aura étonné au plus haut point. Qu’on se comprenne, je n’ai rien contre le suicide assisté. Je ne suis pas là pour juger de ce que les gens font de leur propre vie. Mais il faut refuser l’euthanasie qui n’est rien de moins qu’un meurtre, c’est-à-dire qui survient sans le consentement de la personne concernée.
Disons qu’on passe plus facilement par-dessus les erreurs d’orthographe ou de grammaire qui ponctuent les pages de certains journaux. Mais confondre suicide assisté et euthanasie est une erreur inacceptable, surtout pour celui qui voudrait initier un débat. Un journaliste qui s’avance sur un sujet aussi délicat doit savoir de quoi il parle. Question d’éthique.
Que personne ne soit sorti dans la rue me déçoit et me fait peur. À moins que ce soit simplement parce que personne ne lit la page blanche à Black… Malheureusement, mon titre ne me permet pas d’ignorer ce que mes collègues écrivent. Et j’ai bien peur que des gens aient lu, acquiescé pour le fond, et ne voient désormais aucune différence entre ces deux termes foncièrement distincts que sont le suicide assisté et l’euthanasie.