Daniel Dutil : Priorité aux engagés
Société

Daniel Dutil : Priorité aux engagés

L’oeuvre de Daniel Dutil qui trône au carrefour giratoire d’Arvida a soudainement ressurgi dans l’actualité culturelle régionale. Entrevue et critique.

La controverse entourant le monument Price, son déménagement avorté et la place laissée vide au carrefour giratoire de l’extrémité du boulevard Talbot ont remis à l’avant-plan l’oeuvre de Daniel Dutil qui se dresse au centre du rond-point d’Arvida, face à l’église Sainte-Thérèse.

Abordée du bout des lèvres par Jean Tremblay en entrevue au volet régional du Téléjournal de Radio-Canada, puis présentée comme un "poteau à moustache" par Yvon Paré dans Le Quotidien, l’oeuvre intitulée Le vent tourne sous le regard de Julien avait pourtant suscité une réaction favorable parmi les médias et la population depuis son inauguration le 28 juin dernier. Le principal intéressé se surprend des récents commentaires plus mitigés: "J’ai eu des feedbacks de toutes sortes de personnes, du quartier ou non, venant de gens de tous les milieux qui passent par le carrefour giratoire… Ça a été toujours positif", raconte Daniel Dutil.

Pour lui, son oeuvre se défend d’elle-même. "L’oeuvre parle beaucoup d’Arvida. Il y a une symbolique… C’est sûr que ce n’est pas du mot à mot, malgré qu’à la base de l’oeuvre, on retrouve quand même, gravé, le nom des cent premières familles qui ont été employées par Alcan, donc à l’origine de la ville."

À ceux qui préféreraient que les oeuvres publiques soient des bustes ou des statues au rôle didactique, donnant un visage à quelque fait historique, Dutil rappelle: "Les statues qu’on voit en Europe n’ont pas été faites en 2000. C’est normal que ça se soit fait, c’est un phénomène normal qu’il s’en fasse encore à l’occasion aujourd’hui, mais ce n’est pas vraiment une contribution à l’art. L’art et la société sont en devenir. On devrait miser sur le futur, ne pas avoir peur d’oser. Il faut faire place à la création."

"Dans trois cents ans, les gens regarderont ce qui s’est fait. C’est important de penser plutôt à l’avenir qu’au passé, au lieu de tout le temps revenir à un style qui serait complètement dépassé. On est en 2006. On a changé de siècle, il faut se le rappeler."

Daniel Dutil a une vingtaine d’oeuvres monumentales à son actif. Il a créé entre autres l’oeuvre colorée qui nous accueille au Centre national d’exposition (Mont-Jacob) ainsi que l’oeuvre centrale de l’exposition permanente de la Maison des Bâtisseurs (Alma). Cette dernière, dont les techniques sont semblables à celles utilisées pour l’oeuvre du carrefour giratoire, est mise en rapport avec l’histoire régionale dans une exposition qui met en scène l’importance de l’eau dans l’industrialisation et le développement du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

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LE REGARD DU VOIR

Apprécier une oeuvre d’art, c’est d’abord chercher à comprendre le rapport qu’elle entretient avec son contexte. "Priorité à celui déjà engagé", conseille un panneau de circulation à l’entrée du carrefour giratoire. C’est la plus belle métaphore qui soit pour ce protectionnisme vital qui a cours dans la région. Priorité à celui d’ici. Mais sans arrêter complètement cet autre qui vient.

Au matin, une rosée d’automne couvre doucement le nom des premières familles d’Arvida et de leurs descendants, effectifs ou éventuels. Le reflet d’un soleil blafard s’épanouit sur ces fleurs d’aluminium plantées dans le terreau de la région. Au centre du décor, phare de ce carrefour au flux incessant, une forme rappelant celle d’une turbine ayant subi l’assaut du temps, garante du passé, arborant de fières cicatrices, semblables à celles de l’érosion, de l’usure, de l’histoire, mais pointant résolument vers un au-delà.

Du haut de ses neuf mètres de puissance, avec la légèreté de l’aluminium qui coule dans nos veines, l’oeuvre de Dutil se présente comme le témoin impassible de nos allées et venues, de nos chemins rebroussés et de nos détours, et se tient fièrement comme la flèche d’une église – sans pour autant obscurcir celle qui partage son paysage.

La sculpture de Dutil n’a rien de didactique, mais elle est en rapport direct avec l’histoire, utilisant des symboles dans lesquels les gens d’ici se reconnaissent.