Réflexions de la gauche à Québec : Y a-t-il véritablement une place pour la gauche dans le débat politique québécois?
Société

Réflexions de la gauche à Québec : Y a-t-il véritablement une place pour la gauche dans le débat politique québécois?

Difficile pour des partis comme le NPD, les Partis verts provincial et fédéral, ou encore Québec solidaire, de s’imposer sur l’échiquier québécois… Pourquoi? Certes, le Québec a connu nombre de politiques à gauche, mais y a-t-il un véritable débat gauche/droite chez nous? Peut-être que la question nationale, omniprésente dans la Belle Province, a, au passage, esquinté cet équilibre politique…

"Ce qui est arrivé, par le passé, notamment dans les élections fédérales des dernières années, c’est que la question nationale a beaucoup occulté les politiques sociales", note Denis Blanchette, ancien candidat du NPD dans Louis-Hébert. Selon son collègue dans Beauport-Limoilou, Simon-Pierre Beaudet, "il y a des gens qui ont intérêt à ce que l’on ne sorte pas de cette question" – il cite en exemple le Bloc québécois, tout en admettant que la polarisation autour du dossier demeure forte. C’est un peu l’omniprésence de cette question qui avait d’ailleurs amené le Parti vert (PV) à complètement escamoter le dossier aux dernières élections. "En fait, ça me fait plus capoter de ne pas avoir de planète que de ne pas avoir de pays", note Yonnel Bonaventure, trésorier du PV du Québec dans la région. Contrairement aux verts, Québec solidaire (QS) tente, lui, de confronter la question, sans toutefois que le dossier ne devienne une fin en soi. "Il y a des choses qu’on peut faire à l’intérieur du Canada, d’autres qu’on ne peut pas", estime Jean-Yves Desgagnés, porte-parole de QS pour la région de Québec.

Certains estiment qu’une confusion a été créée, au fil des années, entre progressisme et nationalisme. Selon M. Desgagnés, alors que les premiers gouvernements du Parti québécois (PQ) étaient à gauche, autant que le Parti libéral au Québec dans les années 1960, la tendance s’est renversée, avec un "tassement à droite" au milieu des années 1980. "Le mouvement national n’est pas toujours progressiste, ça dépend des influences dans les partis. C’est pour ça que depuis plusieurs années, on voit une montée des influences de droite", remarque de son côté M. Blanchette. Malgré tout, plusieurs groupes à tendance sociale s’associent toujours au Bloc québécois ou au PQ. "Au NPD, on réussit à attirer les syndicats sur une base individuelle, mais, en tant que groupes, ils ne sont plus là", déplore Simon-Pierre Beaudet.

Selon lui, les partis souverainistes se situent le plus souvent idéologiquement au centre. "Le PQ se présente comme une coalition autour de la souveraineté. Oui, il y a SPQ Libre, mais il y a aussi des intellectuels de droite. C’est très difficile de dire si le parti est à gauche ou à droite", estime M. Beaudet. Quant au Bloc, toujours selon l’ancien candidat du NPD, il serait plutôt social-démocrate. "Mais si on regarde la façon dont ils votent, il n’y a pas de ligne directrice", poursuit-il. Même constat du côté des deux PV. "En tant que tels, nous, on ne se sent pas à gauche", indique François Bédard, du PV du Canada. Mais il se défend bien d’être monothématique, contrairement à d’autres partis. "Un parti comme le Bloc pot se désintégrera une fois la légalisation votée. C’est la même chose pour le PQ, c’est un parti qui est voué à disparaître une fois qu’il aura fait ce qu’il a à faire", observe-t-il.

UNE PLACE POUR LA GAUCHE?

De manière concrète, les difficultés de la gauche à percer amènent, tout particulièrement au fédéral, une alternance au gouvernement entre des partis plutôt situés au centre droite, soit ceux des conservateurs et des libéraux. "On a besoin d’un parti de gauche au pouvoir. On est l’un des rares pays où il n’y a pas d’alternance gauche/droite au gouvernement", déplore Simon-Pierre Beaudet. En ce qui concerne les Québécois, cette propension pourrait s’expliquer, selon Denis Blanchette, par une certaine crainte d’un discours politique purement à gauche. "Les Québécois, dans leur ensemble, ont une tradition chrétienne qui les porte à la modération. Donc, le discours de gauche, qui paraît plus radical, peut effrayer", explique-t-il.

Mais, les temps changent… "En ce moment, il y a de plus en plus de gens qui sont déçus par les partis classiques et qui se déplacent vers d’autres partis", fait valoir Yonnel Bonaventure. Les performances tendent à s’améliorer. La conjoncture change peu à peu. Selon Jean-Yves Desgagnés, peut-être qu’avec Québec solidaire, la gauche arrivera enfin à percer dans la Belle Province. "Actuellement, on assiste à la convergence de la gauche sociale et de la gauche politique. On pourrait dire qu’il n’y a jamais eu une conjoncture aussi forte à ce que la gauche puisse percer au Québec, ce qu’elle n’a jamais fait auparavant", souligne-t-il.

Dans cette percée, est-ce que le PV et les partis de gauche viendront se faire compétition? "La clientèle du PV a changé, entre autres, lors de la dernière élection. Il y a beaucoup de gens qui sont préoccupés par la question environnementale, mais qui, sur le plan économique, sont beaucoup plus à droite. Ce sont ces gens que les verts peuvent ramasser. Ce n’est pas au NPD que ça fait mal", considère M. Blanchette. D’ailleurs, les verts provinciaux estiment qu’ils auraient peut-être même perdu au change en s’associant avec QS. "En restant autonomes tous les deux, on a avancé de front, et on a enlevé des votes aux grands partis", observe M. Bonaventure.

Ainsi, alors que la gauche provinciale s’organise, le NPD, lui, continue à tenter de reprendre sa place au Québec. "On a touché le fond du baril à la fin des années 1990, où on avait 60 000 électeurs, mais depuis ce temps-là, on a quintuplé notre vote", remarque Denis Blanchette. Les candidats tentent désormais, avec un certain succès selon eux, de rétablir l’image de leur parti. "Nous avons récolté 300 000 votes au Québec mais, puisque notre vote est réparti équitablement dans l’ensemble des circonscriptions, on n’a pas de députés", continue M. Blanchette. "Aujourd’hui, notre pire ennemi, ce sont les préjugés qu’on entend. "Le NPD, ça n’a jamais marché au Québec": c’est la phrase préférée des bloquistes", ajoute M. Beaudet.

JEUX D’ALLIANCES

Pour continuer à reprendre sa place sur l’échiquier politique provincial, la gauche devra inévitablement se soutenir. Des alliances ne sont pas hors de question entre le NPD et QS. "J’espère que lors de la prochaine campagne au Québec, on aura l’appui des progressistes du NPD, et qu’au fédéral, on fera un retour d’ascenseur", propose M. Desgagnés. Mais, comme ailleurs, il sera difficile de contourner la question nationale dans ces discussions… "Si la question nationale est primordiale pour Québec solidaire, alors, il y aura des difficultés. Mais si le discours progressiste est prioritaire, alors, il y aura sûrement une façon d’échanger", note M. Blanchette.

Du côté des verts, il y a déjà une certaine collaboration entre le provincial et le fédéral, mais celle-ci, de l’aveu de François Bédard, reste informelle. "Il faudrait avoir plus de synergie entre les PV provincial et fédéral, surtout qu’au niveau provincial, la question de la souveraineté a été évacuée et que le PV du Canada est un parti fédéral, mais pas fédéraliste", explique-t-il. Dans la division du Québec, on avoue aussi que la notoriété du PV fédéral sera essentielle au succès de la prochaine campagne. "D’une certaine façon, le PV au Québec est à la remorque du PV du Canada", évalue Yonnel Bonaventure.

Mais en définitive, il n’en reste pas moins que c’est avec une représentation proportionnelle au Parlement, revendiquée autant par les verts que par le NPD, que la gauche réussira à prendre réellement sa place sur l’échiquier politique. "Il est aberrant que 300 000 électeurs au Québec aient voté pour le NPD et qu’au final, ils se retrouvent sans voix. Il y a un déficit démocratique présentement. Ce n’est pas pour rien que ce qu’on désire, en tant que parti, c’est une proportionnelle pour rendre un peu plus justice au travail de chacun", termine Denis Blanchette.