L'Iceland Airwaves : 101 Reykjavik
Société

L’Iceland Airwaves : 101 Reykjavik

L’Iceland Airwaves avait lieu à Reykjavik le mois passé pour une sixième fois, réunissant la crème du rock alternatif et de la pop novatrice d’un peu partout dans le monde. Voir était sur place, au pays des contrastes.

On atterrit en Islande comme on débarque sur la Lune, au beau milieu d’un champ de lave figée, coiffé d’une dentelle de frimas, sous un ciel rose presque irréel, avant de mettre le pied dans un petit aéroport de métal et de bois. La première édition de l’Iceland Airwaves (www.icelandairwaves.com) avait lieu en 1999 dans un hangar d’aéroport. Depuis, le festival a pris de l’ampleur puisque pas moins de 200 groupes y sont conviés, dont nos dignes représentants montréalais: Patrick Watson, Islands et Wolf Parade, qui furent fort bien accueillis.

Le jour, on galope sur les petits chevaux islandais, on se prélasse dans le Lagon Bleu, ou alors on erre dans Reykjavik, la capitale à l’architecture à la fois austère et délicate dans ses détails et fioritures. Le soir, les différents groupes envahissent les salles, musées et cafés du centre-ville, et on s’y rend comme à un petit Pop Montréal concentré.

Étonnamment, la moitié des groupes qui s’y produisent proviennent d’Islande. Pour en savoir plus sur cette scène en pleine effervescence, Voir est allé à la rencontre de Larus Johanneson, copropriétaire du magasin de disques indépendant 12 Tonar (genre L’Oblique ou Cheap Thrills). En plus d’être le rendez-vous obligé de tous les mélomanes qui passent par Reykjavik, 12 Tonar est aussi une étiquette de disques (www.12tonar.is).

Vous dites que la scène musicale islandaise est très vivante, dynamique. Qu’en est-il des structures en place pour un nouveau groupe qui débute? Y a-t-il, comme ici, des radios universitaires pour les soutenir, des promoteurs, des étiquettes indépendantes et des distributeurs?

"À la mode islandaise, il y a une structure même si elle n’est pas apparente! Il y a ici un concours annuel, le Battle of the Bands. Les groupes s’inscrivent dans leurs villes et villages respectifs, auprès d’organisations qui les encouragent à longueur d’année en organisant des événements lors desquels ils peuvent faire leurs premiers pas, accumuler un peu d’expérience de scène. À la fin, une finale très courue a lieu à Reykjavik, diffusée sur les ondes de la radio nationale. Les trois meilleurs groupes remportent plusieurs prix, du temps de studio, des instruments de musique, etc. Les vainqueurs peuvent se rendre loin. Par exemple, en 2005, nous avons repéré la formation Jakobinarina, qui a finalement signé un contrat avec la prestigieuse étiquette anglaise Rough Trade."

Est-ce que les Islandais soutiennent leur scène locale?

"Oui, les gens d’ici sont très curieux intellectuellement. Il y a un véritable marché pour notre propre musique. De plus, les groupes eux-mêmes se soutiennent mutuellement, partagent pas mal de choses: matériel, locaux de pratique, et même des musiciens! Ça installe un climat particulier, un mélange de saine compétition et de solidarité."

Combien d’albums est-ce qu’un groupe émergent islandais qui signe avec une étiquette indépendante peut s’attendre à écouler?

"Pour un premier disque, entre 500 et 2000 copies. Ça dépend de plusieurs facteurs. Ce n’est pas si mal pour une population de 300 000 personnes."

À Montréal, les artistes islandais que nous connaissons le plus sont Björk, Sigur Rós et múm. On se demande parfois s’il existe un son islandais. Durant le festival, j’ai assisté à plusieurs concerts de groupes locaux et j’ai découvert que cette scène était beaucoup plus éclectique que l’idée que je m’en faisais. Qu’en est-il?

"Quant à savoir s’il existe un son islandais, je pense qu’on peut répondre à la fois oui et non… Nous avons une grande variété de groupes: Jakobinarina est punk-pop, Apparat Organ Quartet, c’est Kraftwerk rencontre Metallica, etc. Malgré tout, même si j’ai du mal à le décrire, j’estime qu’il existe un son islandais distinctif. Par exemple, tendez l’oreille au travail de Johann Johansson. C’est un auteur-compositeur universel, mais en même temps, il ne pourrait venir que d’ici."

Jakobinarina: Nouvel espoir islandais, tendez l’oreille.
photo: Marie Hélène Poitras

Quelques groupes montréalais ont joué à l’Iceland Airwaves (Patrick Watson, Wolf Parade et Islands). Avez-vous entendu parler de la scène montréalaise? D’Islande, quelle perception en avez-vous?

"Oh oui, j’en ai entendu parler et je dois dire que c’est une scène assez exceptionnelle! Je connais tous les groupes que vous citez. Patrick Watson a fait craquer beaucoup de monde ici. J’ai l’impression que ce gars-là va connaître un grand succès."

The Sugarcubes font aussi partie des premiers groupes d’Islande dont j’ai entendu parler. Est-ce qu’ils sont encore un modèle pour les groupes émergents?

"Je suis de cette génération qui les a vus naître, moi aussi. Leur influence est toujours là mais elle se manifeste désormais de façon indirecte. On peut dire que cette formation, c’est un peu comme la Mère de tous les groupes d’ici, notamment parce qu’ils étaient si farouchement indépendants, et cette attitude a la cote ici. Plutôt mourir que de se laisser dominer!"

Je n’ai pas entendu beaucoup de groupes chanter en islandais… Est-ce difficile pour eux de décider dans quelle langue ils vont s’exprimer?

"C’est un dilemme, en effet. Localement, tu risques de vendre plus de disques si tu t’exprimes en islandais, mais la plupart des groupes visent plus. S’ils s’expriment aussi bien en anglais, moi je ne trouve pas ça dérangeant. Mais je me souviens d’avoir déjà entendu Björk dire que lorsqu’elle écrivait ses chansons en anglais, elle avait l’impression de trahir quelque chose. Quand on vit dans une petite société comme la nôtre, cette question reste toujours un peu délicate." (Marie Hélène Poitras)

ooo

NORDIC MUSIC DAYS 2006

Poing
photo: Joachim Kotte Nordvik

Le festival Nordic Music Days (NMD), organisé par le Nordic Composers’ Council (qui regroupe des associations de compositeurs du Danemark, de Finlande, d’Islande, de Norvège et de Suède), est sans doute l’un des plus vieux festivals au monde, le premier ayant eu lieu en… 1888! Il se déroule sur une dizaine de jours, tous les deux ans, dans l’un des pays membres, et présente des musiques contemporaines de ces pays et, éventuellement, de pays invités.

Lors de la dernière édition, tenue en Islande du 5 au 14 octobre, le pays invité était le Canada. On a pu y entendre des oeuvres de Sean Ferguson, Laurie Radford et Ana Sokolovic interprétées par l’ensemble islandais Caput (qui nous visitait en février dernier durant MusiMars), et trois oeuvres de Jean-François Laporte: le Dance Theatre of Iceland dansait sur sa musique interprétée par Martin Ouellet au piano préparé; il donnait une performance solo sur ses instruments inventés; et le Quatuor Bozzini jouait en création mondiale sa pièce Moments. Le quatuor interprétait aussi Blanc dominant, de Sokolovic, dans un concert qui a fait grande impression et dont j’ai beaucoup entendu parler.

"Entendu parler"? Hé oui… Le festival avait choisi d’inviter quelques journalistes étrangers pour les trois derniers jours de l’événement… Assez pour goûter la manière nordique (pas si éloignée que ça de la nôtre, en fait) et pour faire un peu le tour de Reykjavik, en commençant par en sortir! Première activité pour les invités: un détour pour faire trempette dans l’eau chaude du Blue Lagoon. Probablement le seul festival où l’on commence par faire se déshabiller les journalistes!

Ensuite, tous dans l’autobus vers une destination inconnue… Islande, terre volcanique? On nous emmène en pleine campagne dans une écurie (libérée de ses chevaux) pour un concert… électroacoustique! Des oeuvres quadraphoniques de Martin Stig-Andersen, Hanna Hartmann et Camilla Söderberg. Le petit séjour commençait bien! Après un très beau spectacle de l’Iceland Dance Company, la découverte de l’excellent saxophoniste du trio norvégien Poing, Rolf-Erik Nystrøm (en solo avec l’ensemble Caput, puis avec ses deux acolytes), un concert choral et la création mondiale de la version complète d’Edda I (1939), de l’Islandais John Leifs (1899-1999), par l’Orchestre symphonique d’Islande, le festival s’est terminé dans l’humour et l’improvisation avec Poing, encore. Un trio iconoclaste à ne pas manquer s’il passe près de chez vous. Prochaine édition des NMD: Suède, du 29 août au 1er septembre 2007. (Réjean Beaucage)