L’Otan : L’avenir de l’OTAN se joue-t-il en Afghanistan?
L’avenir de l’OTAN se joue en Afghanistan. C’est le message sans équivoque qu’ont lancé les délégués canadiens à leurs homologues des 26 pays membres à l’occasion de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN qui s’est tenue à Québec la semaine dernière.
L’opération militaire qui se déroule en Afghanistan est perçue comme un test pour la cohésion militaire et politique de l’Alliance atlantique au moment où elle est appelée à déployer ses forces de plus en plus loin de ses frontières. D’abord instaurée pour défendre l’Occident contre une éventuelle invasion soviétique, l’OTAN (l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) traverse aujourd’hui une véritable crise identitaire. "Après l’effondrement du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique, beaucoup de gens se sont demandés où se trouvaient désormais nos ennemis. Nous savons aujourd’hui qu’ils sont l’incertitude et l’instabilité régionales ou religieuses", observe le sénateur canadien Pierre Claude Nolin, également vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN). Cette nouvelle logique amène l’Alliance à intervenir à l’extérieur de son centre de gravité, ce qui érode la détermination de certains de ses membres.
Même si l’OTAN peut se targuer d’avoir réuni pas moins de 37 nations dans la coalition militaire en Afghanistan, certains pays, comme la Suisse et l’Autriche, contribuent chacun à raison de… cinq soldats! Avec des contributions lilliputiennes, ces pays se limitent à un rôle de figuration sur la scène afghane. Pas de quoi inquiéter les talibans, qui tirent des recettes colossales de la culture du pavot, laquelle devrait atteindre 6100 tonnes en 2006. Un record de tous les temps avec une progression de 59 % par rapport à l’année précédente!
À elle seule, la contribution canadienne équivaut aux troupes réunies de 24 pays de l’Alliance. Pendant ce temps, le Canada, l’Angleterre et les États-Unis cumulent 85 % des pertes humaines, soit 433 morts sur les 505 soldats tombés au combat.
Pour le très conservateur sénateur Pierre Claude Nolin, le Canada a fait plus que sa part en Afghanistan, et il est temps que les autres pays de l’OTAN fassent preuve de solidarité. "J’aimerais que nos alliés soient plus présents. […] Ce que nous souhaitons, c’est que les principes fondamentaux de l’Alliance soient reconnus par les autres pays et qu’ils agissent en conséquence."
Or, les députés des pays membres de l’OTAN se sont présentés à Québec avec leurs propres programmes, lesquels ne sont pas toujours conciliables avec la position canadienne. Pendant que les élus hollandais interrogeaient leurs homologues canadiens sur l’impact de l’effort militaire afghan sur leur électorat, dans les couloirs du Centre des congrès de Québec, les délégués allemands ont vertement critiqué la stratégie du Canada, qui consiste à déloger rapidement les talibans du sud du pays. L’Allemagne, qui compte quelque 2700 soldats cantonnés dans le nord pacifié, préconise la "séduction des coeurs et des esprits" des populations pachtounes.
Le Canada peut-il se retirer d’Afghanistan ou se retrancher dans le nord, à l’instar de son allié germanique? "Ce serait le signal que la coalition des démocraties occidentales vacille", répond le président sortant de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, Pierre Lellouche, pour qui un échec en Afghanistan mettrait en péril la crédibilité de l’Alliance. "Si le Canada devait partir, je crois que ce serait une faille très importante dans la solidarité occidentale et un autre signal à tous ceux qui attendent que les talibans reviennent au pouvoir. Et s’ils reviennent au pouvoir, apprêtez-vous à retrouver des 11 septembre à nouveau et pas seulement à New York."
Pendant que les députés et les sénateurs des pays de l’OTAN se demandaient comment faire avaler la pilule afghane à leur opinion publique respective, au siège social de l’OTAN, les généraux des forces de l’Alliance dressaient la table pour le prochain sommet des chefs d’État et de gouvernement, qui se tiendra à Riga (en Lettonie) à la fin du mois. Il s’agit du premier rendez-vous de l’OTAN à se tenir dans un pays du défunt Pacte de Varsovie, ce qui ne va pas sans souligner les pressions croissantes des pays de l’ancien bloc de l’Est, telles la Russie, la Géorgie et l’Ukraine, pour joindre les rangs de la coalition.
Pour le président sortant de l’Association parlementaire de l’OTAN, le Sommet de Riga constitue la dernière chance des pays occidentaux de joindre leurs efforts de façon cohérente. M. Lellouche a insisté sur le fait que les États-Unis et les pays membres de l’Union européenne doivent s’employer plus activement à assurer la survie de l’alliance politique et militaire qui a permis de gagner la Guerre froide. "Je dois vous avouer que je suis inquiet quant au devenir de l’Alliance atlantique… Je suis inquiet d’abord parce que nos amis et alliés américains ne me donnent pas l’impression d’avoir véritablement choisi un cap quant au futur de l’Alliance", a-t-il déclaré devant les élus réunis à Québec.
Il s’est également dit préoccupé par le "désarmement budgétaire unilatéral" de nombreux pays européens, qui réduisent de façon radicale leurs dépenses militaires. Ce qui rend le fardeau de plus en plus lourd pour un nombre restreint d’alliés, comme le Canada. "Je suis inquiet de l’inexistence du fameux pilier européen de l’Alliance. L’Europe se gargarise de sa fameuse Politique européenne de sécurité et de défense, mais elle est en fait, hormis la Grande-Bretagne et la France, en voie de désarmement budgétaire unilatéral." Avec une population une fois et demie supérieure à celle des États-Unis, les dépenses militaires européennes atteignent à peine 40 % des dépenses états-uniennes. "Unilatéralisme d’un côté, incantation verbale de l’autre, le résultat peut être tragique, comme on le voit aujourd’hui en Afghanistan, où, si nous n’y prenons garde, l’OTAN […] risque d’être militairement mise en difficulté par les talibans, faute de moyens suffisants sur le terrain. Une déroute de l’Alliance, sous la forme d’un retrait plus ou moins organisé, porterait un coup terrible à sa crédibilité".