Société

Ennemi public #1 : Le party

Je déteste mon anniversaire. Entre autres parce que je n’aime pas trop les anniversaires en général, sauf peut-être quand il s’agit d’enfants et que ce jour-là s’avère l’occasion de mesurer leurs progrès, charmante constatation de leur évolution qui rend même le pire des emmerdeurs un peu gaga. Ahh, regarde comme elle a grandi! Tu vois comme elle parle bien pour son âge! Imagine, il y a un an, elle marchait même pas, et là, elle court comme une folle, check-la aller…

Je disais que je déteste mon anniversaire, or chaque année, j’implore qui veut m’entendre de ne rien faire pour l’occasion. Pas de cadeaux, s’il vous plaît. Pas de party, je vous en prie.

C’est peine perdue, il y a toujours quelque chose qui s’organise, et il y a toujours plein de gens. Comme si tout le monde était plus content que moi que ce soit ma fête.

Ben quoi? Vous me trouvez bougon? Rabat-joie? Regardez-vous donc une seconde.

Les Fêtes du 400e anniversaire de Québec s’en viennent et z’avez même pas l’air contents. Pire, vous faites la gueule. On s’évertue à vous organiser un party et vous chialez comme des bébés. Des bébés qui refusent tout en bloc, mais qui ne savent pas ce qu’ils veulent non plus. Faut pas que ce soit trop people, pas trop élitiste non plus. Faut que ce soit rassembleur, mais pas kétaine quand même…

Bâtard, le Cirque du Soleil, vous n’êtes pas contents? Y a-t-il quoi que ce soit de plus consensuel que le Cirque du Soleil? Et Céliiiiiine! Seriez pas heureux, si ça fonctionne, un beau spectacle de Céliiiiiiine!?

Ne me demandez pas mon avis sur la question. Le Cirque du Soleil m’ennuie, Céliiiiiine me donne sérieusement envie de me crever les tympans. Et la piste de danse sur l’eau? Rien à battre. Et l’Opéra urbain? M’en fous complètement.

Sauf que c’est pas pour moi ce party-là. Et ce n’est pas non plus pour le crétin patenté qui anime le show du matin à l’ancienne fréquence de Cheff Fillion. Ni pour son acolyte qui cultive l’indignation sur commande, et qui répétait, mardi dernier, le chiffre de 90 millions de dollars comme une sorte de mantra pour faire freaker les auditeurs.

Ce party, c’est pour vous autres, et justement, vous freakez.

C’est sûr, moi aussi, quand j’entends qu’un de ces spectacles aura comme fil conducteur "un regard tourné vers l’avenir à travers le multiculturalisme et la francophonie" (tel que rapporté par Le Devoir), je reste un peu perplexe. Les grands concepts et les idées de fond sont intéressants quand ils se dégagent naturellement d’une oeuvre, pas quand on les y fait entrer de force.

Mais je sais que ce n’est pas cela qui vous dérange, au fond. Ce qui vous tanne, c’est que vous vous demandez ce qu’il y aura pour vous. Juste vous, votre petite personne.

"Les gens sont de plus en plus difficiles à séduire", remarquait la mairesse Boucher, avec laquelle, pour une fois, je suis parfaitement d’accord. À en entendre quelques-uns, il aurait fallu qu’on procède à des consultations publiques pour être certain que chaque citoyen sera individuellement comblé par les Fêtes du 400e. Ce qui est parfaitement ridicule.

Alors en attendant, à moins d’avoir quelques suggestions intelligentes à formuler, je vous invite à adopter la même attitude que moi.

Je n’aime pas les anniversaires, c’est vrai. Je m’en fiche comme de ma dernière paire de shorts. Sauf que si on m’organise un party, je souris, je remercie, mais surtout, je ferme ma gueule et je laisse les autres s’amuser. Je suis finalement assez reconnaissant que tous ces gens se fendent en quatre pour me faire plaisir, peu importe que cela fasse parfaitement mon bonheur ou non.

D’autant plus qu’il y a quand même des limites à l’ingratitude.

ooo

REÇU – Quelques courriels de lecteurs qui, en lisant ma chronique de la semaine dernière, se sont demandé si j’étais au bord de la dépression. Faut pas exagérer. De désillusions en résignations, je trouve aussi quelques minuscules bonheurs dans ce monde qui est loin d’être jojo tous les jours, mais qui n’a rien d’un enfer pour ceux qui vivent dans la tranquillité d’un pays comme le nôtre.

LU – Le plus beau roman sur lequel je suis tombé depuis longtemps. Ça s’intitule L’Histoire de l’amour, c’est écrit par Nicole Krauss. Trois récits qui évoluent d’abord en parallèle pour éventuellement changer de trajectoire et venir se télescoper. Des histoires douloureuses de vies tronquées, sacrifiées, mais parfois gonflées par l’espoir. Des histoires qui traitent du deuil, de la folie, de littérature, de la Shoah, et évidemment de l’amour, tout cela dans une langue d’une rare vigueur poétique.

Il existe trois sortes de romans: ceux qu’on ne termine pas, ceux que l’on referme en se disant: "bon, c’était ça", et ceux qui collent à la peau et desquels on ressort transformés. Je vous laisse deviner à quelle catégorie appartient celui-là.

APRÈS TOUT – Parmi les minuscules bonheurs évoqués plus haut, celui qui me permet de survivre à la fin de l’automne, c’est le jogging. La tuque enfoncée par-dessus les oreilles, l’air froid te gèle les bronches. The air is crisp, comme disent les anglos. L’air croustillant, comme le givre qui craque sous les chaussures.

Pour jogger tout seul, je bidouille de petites compils à écouter sur mon iPod. Pour s’échauffer, La Chanson de Slogan de Serge Gainsbourg reprise par Blonde Redhead. Puis on passe aux choses sérieuses: Street Fighting Man des Stones, Come On (Let the Good Times Roll) par Hendrix, Slow Hands d’Interpol, ça continue comme ça, et au bout d’une heure, vers la toute fin, cette pièce de Katerine absolument pissante: "Excuse-moi j’ai éjaculé dans tes cheveux à un moment inadéquat/Je ne croyais pas qu’ça partirait, mais quand tu m’fais des trucs comme ça, je ne peux pas me retenir…"

Je porte parfois des collants pour courir. De temps en temps, les filles qui me croisent en voiture ralentissent pour mater mon cul. Mais si elles tombent sur moi au moment où j’écoute cette chanson, mort de rire, elles accélèrent aussitôt, sans doute convaincues que je suis dingue. La vie est belle après tout, non?