Joseph Facal : L'art de la réforme
Société

Joseph Facal : L’art de la réforme

L’ancien député et ministre Joseph Facal se penche sur la crise des systèmes de santé au Québec et aux États-Unis et livre une intéressante réflexion sur la difficulté de gouverner.

Comment se fait-il que certains systèmes résistent aux réformes? Pourquoi certaines lois ne voient jamais le jour et que d’autres, soigneusement mises en place, produisent des effets inattendus? Quelles sont les limites du volontarisme en politique? Dans son livre Volonté politique et pouvoir médical, l’ancien député et ministre du Parti Québécois Joseph Facal, aujourd’hui professeur invité à l’École des hautes études commerciales de Montréal, observe les mécanismes de prise de décision au sein des gouvernements en analysant les processus de naissance de l’assurance maladie au Québec et aux États-Unis. "Les problèmes que rencontrent actuellement tous les grands systèmes de santé occidentaux peuvent être envisagés comme un microcosme de notre rapport à l’État et de la manière dont on veut construire notre société en organisant la solidarité. Si l’État providence est aujourd’hui en crise, c’est d’abord à cause d’un problème de financement, parce que les besoins des citoyens tendent à dépasser les ressources disponibles… On en vient donc à remettre en cause les finalités du système. Le problème budgétaire provoque un questionnement philosophique fondamental: tous les citoyens doivent-ils payer la facture? Où s’arrête la responsabilité individuelle?" théorise le professeur en sociologie politique.

RETOUR AUX SOURCES

Convaincu que les problèmes que connaît notre système de santé actuel viennent pour une bonne part des circonstances de sa création, Joseph Facal rappelle d’abord dans un premier chapitre très didactique que l’assurance maladie a vu le jour au Québec en 1970, quelques mois à peine après la Crise d’octobre, dans un contexte général de tension où le gouvernement a décidé, alors qu’un ministre venait d’être assassiné, de faire passer une réforme largement plébiscitée par l’opinion publique, malgré le désaccord des médecins spécialistes. L’auteur fait ensuite le point sur la situation aux États-Unis où il a fallu près de 30 ans aux Démocrates pour faire adopter en 1965 par le Congrès américain le "Medicare", un système d’assurance qui couvre partiellement les dépenses de santé des personnes âgées dans un contexte où le secteur privé a toujours été privilégié. "Notre système date des années 70 et cela fait 30 ans que nous essayons de le réformer. Plus le temps passe et plus la santé accapare une part importante du budget, au point même d’asphyxier les autres missions de l’État. Aux États-Unis, la situation est encore plus problématique: 46 millions de personnes vivent sans aucune assurance maladie. Les grandes entreprises comme Ford licencient aujourd’hui leurs employés en expliquant que leurs coûts d’assurance maladie sont trop lourds à assumer", remarque Joseph Facal.

POLITICIEN OU SOCIOLOGUE?

Après avoir longuement étudié les circonstances politiques et historiques qui ont présidé à la création de ces réformes, les forces en présence et les conditions de leur mise en oeuvre, l’ancien député conclut son ouvrage par un chapitre au titre un peu provocateur: "Pourquoi rien ne semble changer". "Quand on s’engage en politique, on y va de bonne foi, pour changer les choses. Et c’est sûr qu’à la fin de sa carrière, on quitte avec un sentiment d’inachevé. Pourquoi est-ce si difficile de réformer le domaine de la santé? Je ne pense pas qu’on puisse simplement imputer cet échec à la peur de l’inconnu ou à la mauvaise foi des gens… Pour qu’une réforme réussisse, il faut d’abord une forte volonté politique et elle doit s’incarner dans une personne qui symbolise le changement. Mais il faut aussi qu’elle réponde à des attentes de la société, qu’elle soit perçue comme une vraie solution. Et puis le hasard joue aussi son rôle. Le problème, c’est qu’il n’est pas démontré que le courage politique paie électoralement!" commente l’ancien ministre. "Il ne s’agit pas de donner des leçons, ni de revenir à ce que j’aurais dû faire lorsque j’étais au gouvernement: ce livre est en fait la version remaniée de ma thèse de doctorat que j’ai terminée quelques mois à peine avant d’être élu député, en 1994. C’est un ouvrage scientifique; le jour où je voudrai donner mon opinion sur la situation politique actuelle, j’écrirai un essai!" assure Joseph Facal.

Volonté politique et pouvoir médical
Naissance de l’assurance maladie au Québec et aux États-Unis
De Joseph Facal
Éditions Boréal, 2006, 358 p.

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LA CONSTANCE DU JARDINIER

Dans son nouvel ouvrage, J.-Claude St-Onge se livre à une inquiétante récapitulation des derniers scandales qui ont entaché l’industrie de la santé. Hypocondriaques, s’abstenir…

Grippe aviaire, bactérie C. difficile, affaire Vioxx… scandales sanitaires, négligences médicales et abus des sociétés pharmaceutiques font plus que jamais la une des chroniques. Dans son nouvel ouvrage, conçu comme un complément à son enquête L’Envers de la pilule, les dessous de l’industrie pharmaceutique, paru en 2004, le professeur de philosophie J.-Claude St-Onge nous emmène dans les coulisses peu reluisantes de l’industrie de la santé. De A pour "Antidépresseurs" à Z pour "Zyprexa", en passant par E pour "Essais cliniques" et M pour "Marketing", Les Dérives de l’industrie de la santé se lit comme un abécédaire thématique.

VOTRE SANTÉ DE A À Z

À la lettre D, "Déterminants sociaux de la santé", on apprend par exemple que la pauvreté et l’absence de contrôle sur sa vie sont toujours les plus grands facteurs de mortalité, malgré les progrès de la médecine. À la lettre G pour "Grippe aviaire", l’auteur revient sur cette épidémie dont on nous menace depuis 2004. A-t-elle été créée de toutes pièces par la société Gilead, dont l’ancien secrétaire à la Défense américain Donald Rumsfeld est le plus illustre actionnaire, pour vendre à tous les pays du monde des millions de doses de Tamiflu, son médicament-vedette? À la lettre W, J.-Claude St-Onge attire l’attention du lecteur sur un rapport indépendant intitulé "Worst pills, best pills", conçu par les chercheurs du Health Research Group de l’organisation Public Citizen de Washington (www.citizen.org) fondée par l’avocat des consommateurs Ralph Nader, répertoriant les médicaments les plus toxiques parmi les 200 produits les plus prescrits aux États-Unis et au Canada.

Si l’auteur se défend dans l’introduction de faire de ce livre un réquisitoire contre les médicaments et un procès général de la médecine, on peut parfois lui reprocher d’adopter un ton un peu sensationnaliste pour dénoncer ce qu’il qualifie de "dérives injustifiables", comme lorsqu’il proclame que "les erreurs médicales sont responsables de 9250 à 23 750 décès évitables" ou que le médicament contre l’arthrose Vioxx mis au point dans les laboratoires de la firme Merck à Montréal a fait "plus de morts que le 11 septembre". Il livre pourtant une analyse particulièrement bien documentée de nombreux sujets, se jouant des tabous pour réaliser un bilan assez complet de l’état de la santé mondiale.

Les Dérives de l’industrie de la santé
Petit abécédaire
De J.-Claude St-Onge
Éditions Écosociété, 2006, 238 p.