Que restera-t-il de nous, en 2050? J’aurai alors 72 ans. Et je regarderai probablement avec un brin plus de sagesse – espérons-le -, ce que nous serons devenus. C’est à cet exercice de projection un peu fou que je me suis adonné, à l’invitation de l’équipe de L’Heure de pointe, de la Première Chaîne de Radio-Canada.
À la demande générale, voici le texte corrigé et augmenté de mon intervention – hormis ce bafouillage imposé par tout micro qui se respecte…
Je ferme les yeux, et m’imagine…
AU-DELÀ D’AUJOURD’HUI
Fin d’après-midi, le 23 novembre 2050. Branle-bas de combat dans les studios de Radio-Canada. Je devais normalement rencontrer Jean-Pierre Girard – qui est toujours en poste – pour revenir sur cette chronique un peu folle à laquelle j’ai participé en 2006. J’avais alors accepté de rêver ce que serait le Saguenay-Lac-Saint-Jean aujourd’hui.
Il semble que mon entrevue sera retardée. En effet, le maire Jean Tremblay vient d’annoncer qu’il prendra définitivement sa retraite de la fonction publique pour des raisons familiales. C’est une véritable commotion qui secoue toute la population de la ville de Saguenay-Lac-Saint-Jean, dont la fusion s’est opérée en 2042. Son règne n’en était pourtant qu’à un 11e mandat consécutif… Et il est encore si jeune!
Il faut dire qu’on vit vieux, en 2050, surtout depuis que le maire Tremblay a fait construire un métro reliant Dolbeau-Mistassini et La Baie. Depuis, le tour de taille moyen a diminué de beaucoup chez nous. On se rappellera que d’illustres statisticiens avaient déclaré, en 2006, que les gens vivant en région souffraient plus d’embonpoint, n’ayant pas accès à un système de transport en commun adéquat.
Alors j’attends près des studios de Radio-Canada, et je repense à ce que j’avais prévu dire. C’est fou comme j’étais alarmiste en 2006, quand je disais qu’il fallait craindre un suicide culturel dans la région – tout de suite les grands mots… Ah! Quand on est jeune! Heureusement, je me trompais sur toute la ligne.
Notre salut est arrivé avec Larouche, qui était devenu le village-musée (vous vous en souviendrez…). En 2017, le fisc avait finalement dû admettre qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Nous avons alors pris conscience de toutes les possibilités que pouvait offrir une idée d’une telle envergure. Et la région est devenue une région-musée.
Aujourd’hui, des cargaisons pleines de touristes débarquent à La Baie, devenu port d’attache plutôt que simple escale. Et ceux qui viennent chez nous oublient désormais de s’en retourner, chaque bateau de croisière étant plus léger de quelques centaines d’âmes au retour.
Nous avons cru tout bêtement être un incubateur pour artistes – ça se disait en 2006. En 2050, nous avons la plus grande communauté artistique du Québec, attirée par la vigueur du fait culturel de notre ville… Quelque 88 % des arrêts obligatoires du territoire ont été transformés en carrefours giratoires, question d’accueillir les oeuvres de nos nombreux artistes.
La vie culturelle s’est développée à une vitesse folle dans les dernières décennies. Qui l’eût cru? Même que le siège social de Communications VOIR inc. a dû s’installer depuis peu dans l’arrondissement Saguenay de la ville de Saguenay-Lac-Saint-Jean, et le journal fait maintenant près de 200 pages chaque semaine – ce qui ne m’empêche pas d’avoir quelque frustration rédactionnelle: je ne peux toujours pas parler de tout ce dont je voudrais parler. Alors je continue d’écrire un peu de poésie pour me ventiler l’esprit…
AU-DELÀ DU GAG
En 2050, même si rien n’est fait, il y aura toujours de l’homme et de l’hommerie au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Malgré l’exode des jeunes. Demeureront des irréductibles. Parce que les gens d’ici ont du sang d’aventurier dans les veines, leurs aïeux un peu fous (dans le bon sens du terme) ayant tout abandonné pour venir en terre nordique construire des barrages, dompter des rivières et abattre des arbres gros comme des charriots.
Bien sûr, nous serons peut-être moins nombreux. Peut-être que plusieurs bungalows seront vides – ça pourrait faire des murs pour accrocher des oeuvres? Peut-être que le taux de chômage sera plus élevé, mais alors il y aura plus de badauds dans les rues; Félix Leclerc ne disait-il pas que le chômage "ça fait des morts qui marchent"?
Non, le Saguenay-Lac-Saint-Jean ne disparaîtra pas de la carte. Le danger, selon moi, se situe plutôt sur le plan de la culture.
L’environnement et la culture sont des dossiers qui souffrent tous deux du même problème, celui de la prééminence de l’argument économique. Si je conçois qu’il faille d’abord satisfaire nos besoins de base, ça ne signifie pas que l’on puisse rejeter la culture du revers de la main. Je ne dis pas que celui qui a de la difficulté à joindre les deux bouts devrait injecter plus d’argent dans l’économie culturelle régionale… Le débat se situe à un autre niveau. Il faudrait plutôt que les décideurs prennent conscience du moteur économique que pourrait représenter la culture dans la région. Il faut cesser de voir la culture simplement comme un luxe.
Ce n’est pas une bonne idée d’hypothéquer le culturel pour favoriser l’économique. À long terme, c’est vers un suicide culturel que nous nous dirigeons si nous continuons de subordonner l’art au signe de piastre. Nous ne pouvons pas nous permettre de simplement faire comme les autres régions. Nos succès sont nombreux, nous avons même été imités. Il faut continuer d’innover. Surprendre. Se donner en exemple.
Vous les aviez trouvées comiques, mes affabulations à propos de ce que pourrait devenir la région? Et pourtant.