Commerce en ligne : Tirer son épingle du jeu!
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Commerce en ligne : Tirer son épingle du jeu!

Dans cette explosion du commerce électronique que nous connaissons, les entrepreneurs de Québec surfent-ils sur la vague ou dorment-ils sur la switch?

En 2005, les Canadiens ont effectué 50 millions de commandes en ligne, pour une valeur totale de 7,9 milliards de dollars. Cependant, pour chaque tranche de 100 $ dépensée sur Internet, 37 $ l’ont été auprès de fournisseurs étrangers! Nos marchands locaux sont-ils en train de se faire damer le pion par les ".com" et les ".fr"? Rien n’est moins sûr. Que vous soyez Américain, Français ou Japonais, si vous parcourez la Toile à la recherche d’un livre rare sur les orchidées, vous avez toutes les chances d’aboutir sur OrchidsBooks.com, un des cinq portails thématiques de la librairie Pantoute. Autant dire que vos yens et vos euros risquent de se transformer en huards en moins de temps qu’il n’en faut pour dire "clic!".

C’est que le libraire de la rue Saint-Jean vient de signer une entente commerciale avec l’American Orchid Society, la plus grande association d’amateurs d’orchidées au monde, qui était à la recherche d’un partenaire pour reprendre le volet "vente en ligne" de son site Web. "C’est l’American Orchid Society qui est venue nous voir", se souvient Guy Beaulieu, directeur du développement à la librairie Pantoute, qui concède que ce n’est pas tous les jours que les Américains viennent cogner à notre porte.

Surtout que la société avait le choix entre quatre entreprises, dont une australienne, une allemande et… Amazon.com. Ce coup de veine, Pantoute le doit à l’intérêt atypique du libraire pour les livres rares prisés par les floriculteurs du monde entier. De tous les candidats, Pantoute offrait la plus grande sélection de livres sur les orchidées, ce qui lui a permis de se classer ex aequo avec Amazon.com. Si bien qu’aujourd’hui, la librairie québécoise et le géant américain se partagent chaque mois les clics des 250 000 visiteurs du site Web de l’American Orchid Society. Ce qui représente, chaque année, trois millions de visites de passionnés d’horticulture en quête d’information. Pas besoin d’être botaniste pour flairer la bonne affaire!

Depuis, les profits poussent comme de la mauvaise herbe. Sur une base annuelle, Guy Beaulieu estime que les ventes en ligne d’OrchidsBooks.com friseront bientôt les 100 000 $. Et il compte faire en sorte que les autres portails thématiques de Pantoute prennent eux aussi leur envol. "On est en train d’atteindre un important chiffre d’affaires avec OrchidsBooks. Mais ça a pris cinq ans à monter, alors, avec nos autres sites, on ne doit pas s’attendre à ce que ça prenne seulement six mois…" confie le libraire, déterminé à prendre le temps qu’il faudra pour séduire les internautes d’ici et d’ailleurs. Il mise particulièrement sur le portail LivroSpheres.com, une librairie virtuelle consacrée à l’environnement et à la mondialisation.

Pour pousser la croissance du portail, il a colligé les courriels de 6000 personnes, à qui il envoie une infolettre une fois par mois, question de rejoindre les lecteurs passionnés comme les plus récalcitrants. Pour cet homme à la fibre écologiste, pas question d’attendre que les gens s’inscrivent d’eux-mêmes à sa liste d’envoi. "J’ai inscrit tous les députés de l’Assemblée nationale et les élus municipaux. Si, sur le plan politique, on veut que les choses avancent, il faut que nos députés sachent ce qui se passe sur la planète en ce moment! S’ils ne veulent pas lire notre infolettre, c’est libre à eux, mais nous, on les a inscrits. Alors personne ne pourra dire qu’il ne savait pas!"

Malgré les efforts déployés, les ventes de livres sur l’environnement n’ont pas atteint la stratosphère. "On ne vend pas encore beaucoup sur notre portail environnemental parce que les gens ne sont pas encore au pied du mur", analyse Guy Beaulieu, un brin militant. Mais au-delà de l’analyse engagée, le libraire constate que les Québécois utilisent surtout le Web pour faire du lèche-vitrine, ce qui amène beaucoup plus de clics que de ventes. "On a le même problème que les autres sites commerciaux. C’est-à-dire qu’on fait marcher la roue, mais ce n’est pas garanti que c’est nous qui allons faire les ventes. Parmi les gens qui parcourent notre site, il y en a beaucoup qui s’en servent pour voir ce qui se publie, mais qui effectuent leurs achats dans leur librairie régionale."

UNE VITRINE DE PLUS!

C’est également l’avis de Guy Piché, de Sillons le disquaire, pour qui le site Web est plus un catalogue qu’un lieu de vente à proprement parler. "Notre site Web est plus une vitrine électronique. Les commandes sont encore marginales, même s’il y a une certaine progression", constate le copropriétaire du commerce de l’avenue Cartier. De là à dire que les mélomanes de Québec préfèrent acheter un disque au détour d’une balade plutôt que de commander de la musique à partir de leur ordinateur, il n’y a qu’un pas, que le disquaire hésite à franchir. "À long terme, ce qui risque de nous faire plus mal, c’est le download commercial, qui va devenir de plus en plus populaire. Dans le fond, un site commercial comme le nôtre, c’est à peu près la même chose que la vente postale par catalogue, sauf que c’est sur Internet."

Une comparaison qui tient la route, selon Saber Chtourou, professeur de marketing électronique à l’Université Laval. "Le catalogue, c’est effectivement une comparaison qui se tient bien, sauf qu’il faut faire attention parce qu’Internet, c’est un média alternatif, et si on essaie de concevoir un site Web comme un catalogue, en général, on se bute assez rapidement à des limites. Un nouveau média, c’est quelque chose qui ressemble beaucoup à ce qui se fait déjà, mais qui a un niveau d’interactivité plus élevé. Par exemple, afficher des grosses images sur un site Web n’est pas nécessairement bon. On va plutôt avoir tendance à afficher des petites images sur lesquelles les gens pourront cliquer."

Pour le chercheur en cybercommerce, l’aspect "catalogue" d’Internet fait en sorte qu’on sous-estime encore beaucoup la part du commerce électronique dans notre économie. Selon la plus récente étude de Statistique Canada, les consommateurs canadiens ont commandé pour un peu plus de 7,9 milliards de dollars de biens et services sur Internet en 2005, soit à peine 1 % des ventes enregistrées au pays. Un pourcentage qui ne représente qu’une facette de la réalité, nuance le chercheur.

"Quand on parle d’achat sur Internet, on parle d’achats qui sont faits totalement sur Internet. C’est-à-dire les gens qui consultent le site Internet et y effectuent un achat. Or, ce n’est pas exactement ce qui se passe. Les gens se renseignent sur Internet et vont faire leurs achats en personne." C’est particulièrement vrai au Québec, où seulement 35 % des citoyens ont effectué une commande en ligne en 2005, contrairement à 45 % des Albertains et des Britanno-Colombiens.

Qu’est-ce qui explique que les Québécois soient plus frileux que le reste des Canadiens à remplir leur panier virtuel? Il n’y a pas assez d’offre locale, répond Saber Chtourou. "L’offre de biens et services faite en ligne par des Québécois pour les Québécois est trop faible par rapport au contenu qui est développé en France ou aux États-Unis et ça, c’est un réel problème. Il faut développer un contenu qui soit 100 % québécois!"

Contrairement à ce qu’on croyait au début de la manne Internet, une large part du commerce électronique ne peut pas être occupée par des acteurs internationaux. On n’a qu’à penser à la livraison de fleurs à domicile. "C’est quelque chose qui ne se fait pas ici. Quand on fait une recherche sur Google Canada, si on entre le mot fleurs en français, on tombe plus rapidement sur un site de France que sur un site du Québec. C’est quelque chose qui en dit long", explique-t-il.

À son avis, les entrepreneurs québécois se laissent trop souvent décourager par l’étroitesse de leur marché. "C’est plus facile de développer [un point de vente en ligne] quand on vise un marché de 60 millions de personnes que quand la taille du marché est restreinte. Ça explique une partie de l’addition. Mais il y a largement de quoi tirer son épingle du jeu au Québec! Ouvrir une boutique en ligne coûte moins cher qu’entretenir un commerce ayant pignon sur rue. Donc, il y a moyen de trouver des profits même avec des petits marchés", conclut le chercheur d’origine tunisienne.

Arrivé à Québec il y a deux ans, Saber Chtourou se surprend encore de voir la province occuper la queue du peloton. "Quand j’ai appris Internet, les premières sources que j’ai trouvées étaient québécoises. Pour moi, ça a été un peu surprenant quand je suis arrivé ici, cinq ans plus tard, de constater que les bases étaient là, mais qu’au bout du compte, il n’y avait pas eu de suivi."