Société

Ennemi public #1 : Joyeux Noël quand même

Tenez, juste pour vous, deux histoires afin de tromper le proverbial "stress des Fêtes", tandis que vous suez dans votre manteau au centre d’achats cette semaine.

La première commence rudement, par un uppercut: le diagnostic.

Désolé, Monsieur, c’est un cancer.

Le type s’écrase. Il est livide, transparent. On ne voit plus que la chaise sur laquelle il s’est assis dans le bureau du médecin. Juste d’entendre le mot, c’est comme s’il était déjà un peu mort. D’ailleurs, dans son cas, peu importe l’issue du traitement, il sera plusieurs fois anéanti par de petites morts qui n’ont cependant rien à voir avec le cancer lui-même.

Car voyez-vous, contrairement à la croyance populaire, il est possible de mourir à répétition. Et cela, même si la maladie, détectée assez tôt, ne sera pas fatale, dans son sens littéral.

Il faudra beaucoup de patience, prévient l’oncologue. Et il en aura. Ne lâchant jamais prise au cours des trois ans que durera la maladie. Trois ans de traitements, de souffrance, d’angoisse, mais aussi trois années de moments magiques d’amitié et d’amour avec les membres de sa famille qui, raconte-t-il, l’auront soutenu de façon admirable dans cette épreuve.

Pour ses médecins, il n’aura que de bons mots. Rien à redire non plus sur le système de santé dont on nous prévient pourtant qu’il tombe en ruine.

Tout de même, trois ans à jouer à cache-cache avec son destin. Trois ans, pour ce pigiste, à voir ses contrats arriver à terme sans trouver la force d’en dénicher de nouveaux, ne sachant trop s’il pourrait les honorer, s’il en aurait la capacité. Lentement, insidieusement, la maladie finit par prendre toute la place laissée vacante par la carrière qui se désagrège dans cette terrifiante déliquescence du corps et de l’esprit.

Quand le cancer devient toute sa vie, encore là, c’est comme s’il était un peu mort. Parce que tout ce qu’il était a disparu, ou presque, remplacé par le combat pour sa survie.

Puis un jour, on lui annonce qu’il s’en est sorti. Débute la période de la rémission, lui affirme-t-on.

Rémission, mon oeil. Celui qui fut journaliste en arrêt de travail est maintenant en santé, mais devant lui, c’est le néant.

Il est pauvre. C’est désormais son seul statut. Trois ans de maladie auront eu raison de ses économies, et sans filet financier, il doit se tourner vers l’aide sociale, puisque le corps, encore trop faible, lui interdit de reprendre du service.

Son seul contrat, il le passe donc avec la misère institutionnalisée. Pas le choix, signe ici, attends ton chèque. Sois patient. Encore.

Je l’ai appelé parce que son numéro figurait au bas de sa lettre, tapée à la machine. "Une vieille Underwood", spécifiait-il joliment en post-scriptum, tout en s’excusant de ne pas écrire à la main, la droite, qui tremble malheureusement trop pour produire une calligraphie lisible.

"La pauvreté, dans un certain sens, c’est pire que la maladie", laisse-t-il tomber au bout du fil. "Devant la maladie, tout le monde est égal, mais aller quémander dans les banques alimentaires, c’est vraiment une expérience humiliante. Je ne m’y habitue pas."

Noël arrive, rien à donner en cadeau. Un panier de bienfaisance pour recevoir tout le monde, enfants et petits-enfants. Autant dire presque rien.

Et c’est pour cela que je raconte son histoire.

Parce qu’on dit toujours le combat contre la maladie, mais trop rarement celui qui se trame par la suite. Parce qu’on dit souvent le manque de ressources dans le système de santé, mais presque jamais la solitude, l’ennui, le désoeuvrement de ceux qui en réchappent et n’ont plus rien devant eux.

Parce qu’on dit souvent la tragédie de ceux qui meurent, mais jamais assez celle de ceux qui survivent.

Remarquez, la tragédie de ceux qui meurent, on en parle surtout quand ils sont connus.

Ce n’est pas le cas de la protagoniste de ma seconde histoire.

Une histoire courte. Trop courte, comme la vie de celle que j’appellerai Josée même si ce n’est pas son vrai nom. C’est l’amie d’une amie, je ne l’ai jamais rencontrée. Gageons tout de même qu’elle était aussi gentille que la fille de Bob Gainey, même si elle ne fera jamais la première page du Journal de Québec.

Trente-huit ans, mère de famille, trois enfants. Il y a quelques mois, on a détecté chez elle un cancer de l’utérus, elle est morte au début de la semaine.

L’histoire se termine là, parce que pour moi, pour vous, Josée est une femme ordinaire, sans histoire justement. Elle est une statistique, un bloc de texte et une photo parmi tant d’autres dans la chronique nécrologique.

Pour sa famille, c’est autre chose.

Je vous disais la tragédie de ceux qui survivent. En voilà une autre: les enfants de Josée demandaient bien peu pour Noël, soit d’avoir leur mère avec eux. Ils n’auront même pas ça.

À la place, ils auront eux aussi son cancer, mais ce sera comme un putain de crabe dans leurs têtes. Des métastases sur l’organe du bonheur.

Cela dit, j’espère quand même que vous serez pas déçus par vos cadeaux vous aussi.