Société

Desjardins : Le triomphe du marketing

Non, je n’ai pas vu L’Illusion tranquille, ce premier film de Joanne Marcotte qui est censé dénoncer le pouvoir d’inertie du modèle québécois, cette pensée unique qui affligerait un Québec en proie aux dogmes syndicalo-socialistes.

Je n’ai pas vu ce film, dis-je, et je n’ai pas l’intention de le voir non plus, simplement parce que je connais par coeur les arguments de ses acteurs, dont certains tombent sous le sens, alors que d’autres sont d’une affligeante pauvreté intellectuelle, et ont comme seul mérite de brasser agressivement la soupe politique à grands coups de formules assassines.

Par ailleurs, j’ai bien vu les résultats d’un récent sondage concernant ce même modèle, sondage qui démontrait l’attachement des Québécois à leurs acquis sociaux. Exactement ceux que dénoncent les protagonistes de L’Illusion tranquille: universalité des programmes dans les soins médicaux, les garderies… Exactement ce que défendent leurs détracteurs: l’idée d’une "aventure commune" pour laquelle Louis Cornellier déchirait d’ailleurs bien inutilement sa chemise dans Le Devoir de samedi dernier, oubliant peut-être qu’il prêchait alors aux convertis.

Des convertis qui embrassent massivement le modèle québécois, faisant rager Lulu et ses lucides, dont le manifeste n’a visiblement pas été entendu par la majorité.

Cela signifie-t-il pour autant que la population qui donne son aval à l’état actuel des lieux le fait pour des raisons idéologiques, pour défendre les principes d’un vivre ensemble basé sur la solidarité? J’ai comme un gros doute.

Le statu quo réclamé, c’est surtout celui des services à bas prix, d’une prise en charge de l’État qui libère de nombreux soucis. Un confort dans une relative indifférence, puisqu’il dédouane les membres de la classe moyenne de leur culpabilité d’hyperconsommateurs en faisant croire à une répartition de la richesse, et à des services identiques pour tous.

Ce qui nous fait voir cette étrange bibitte idéologique où le citoyen défend en apparence des principes d’équité sociale pour, au fond, ne satisfaire qu’un seul individu: lui-même. Et sa conscience.

La gauche-caviar, vous dites? Même pas. C’est la gauche-télé au plasma. La gauche condo. La gauche vacances à Cuba. La gauche qui veut payer moins d’impôts.

Pendant ce temps-là, les tenants de la droite de L’Illusion tranquille proclament qu’ils veulent réformer le système afin qu’il profite à la libre entreprise (PPP, appels d’offres dans les services publics, augmentation de la productivité, etc.), à cette même classe moyenne qui verrait ses paiements d’impôts fondre comme neige au soleil, mais aussi aux plus démunis.

Et tout le monde, de gauche à droite, de se draper dans la vertu, de se réclamer de la justice sociale, dissimulant bien mal son hypocrisie.

Remarquez, cette confusion des genres n’est pas l’apanage du Québec. Au sud, démocrates et républicains dansent un tango aux mouvements analogues depuis belle lurette, tandis qu’actuellement en France, la droite de Sarkozy joue la carte de l’empathie devant la gauche de Ségolène Royal, qui, elle, semble prête à brader certains principes pour l’établissement d’un "ordre juste".

Ce qui confirme une tendance qui se dessine depuis un bon moment déjà, et qui prend des allures de lame de fond.

Il n’y a plus vraiment de gauche ni de droite. Il ne reste que le centre. Un centre expansif qui pige, selon l’air du temps, de tous les bords du spectre des idées.

Vous y voyez une forme de sagesse, une réconciliation des extrêmes?

J’y vois plutôt une forme de racolage qui convient parfaitement à nos sociétés voulant le beurre et l’argent du beurre, n’acceptant ni de sacrifier leur confort ni d’enterrer leur conscience. Des sociétés à qui on dit, tout simplement, ce qu’elles veulent entendre. Peu importe la réalité.

J’y vois une absence de courage politique, et pire, j’y vois le triomphe absolu du marketing.

ooo

Bon, mais c’est pas tout ça. Vous avez passé un beau solstice, vous? Moi, pas pire. En fait, j’ai passé le plus clair des Fêtes la tête ailleurs. Le plus souvent dans un bouquin.

Dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell? Non, pas encore. On me l’a offert, mais il attend patiemment qu’un accès de bonne humeur prolongée me permette ce genre de plongée en apnée dans la plus abjecte noirceur de l’âme humaine. Je repense encore aux personnages du Kaputt de Malaparte, à ces bourreaux qui jouent du piano avec les mains d’un ange… Je suis encore parcouru de frissons d’horreur, plusieurs années après cette lecture.

En attendant le Littell, j’ai terminé le très beau et volumineux Forteresse de solitude de Jonathan Lethem, et je suis aussi passé à travers un recueil de Jean-Paul Dubois que je n’avais jamais lu, intitulé Vous aurez de mes nouvelles. Plus encore que dans ses romans, j’y ai retrouvé l’esprit de certains réalistes américains dont je ne me lasse pas. Je pense à Fante, à Carver, à Harrison, à Bukowski.

D’ailleurs, ceux-là me ramènent à cette chronique dont vous comprendrez qu’elle devait changer de nom, son titre pompeusement vindicatif d’Ennemi public no 1 ne trouvant que trop rarement d’écho dans les propos que j’y tiens. Des propos qui ont été marqués, au fil des ans, par la lecture de ces auteurs qui m’ont montré une nouvelle façon d’envisager le réel, qui m’ont fait voir que le bonheur est un tison incandescent sur lequel il est inutile de souffler, puisqu’il ne se consumera que plus vite encore.

Mais bon, animal d’habitudes, je ne renoncerai certainement pas à mes mauvaises manies. Il y aura encore des colères, des lecteurs varlopés, des reportages aux conclusions atrocement subjectives, des fanfaronnades, des critiques acerbes et des insultes. Il y aura de la culture, des médias, de la politique. Il y aura encore un ou deux éclats de poésie plus ou moins volontaires qui viendront se ficher sans cette colonne comme le shrapnel d’une grenade. Il y aura toujours cette conscience que "les utopies sont des spectacles qui prennent fin les soirs de première", même si certains prennent cela pour une forme de cynisme débilitant. Il y aura des clichés, des instantanés permettant d’arrêter ce temps qui s’écoule toujours trop vite ou trop lentement.

Et finalement, il y aura vous, dont j’ai fait l’audacieux pari que vous me suivriez dans ces vagabondages et ces tentatives pas toujours fructueuses de me réinventer un tout petit peu, et qui me permettent de recommencer semaine après semaine sans me lasser.

D’ailleurs, vous ai-je déjà remercié d’être là?

Voilà qui est fait.