Publicité sur le Net : Internet chamboule la Loi électorale
Société

Publicité sur le Net : Internet chamboule la Loi électorale

Les élections ne sont pas encore déclenchées qu’un député péquiste a pris le Web d’assaut à grand renfort de publicité. La Toile offre-t-elle un nouveau moyen de contourner la Loi électorale?

Tapez "Kyoto" sur Google et vous trouverez Stéphane Bergeron. Depuis quelques mois, le porte-parole du Parti québécois en matière d’environnement paie le populaire engin de recherche pour que son site figure dans les liens commerciaux apparaissant à côté des résultats. Même chose si vous entrez les termes "Orford", "éolienne" ou "développement durable". Le député n’a pas lésiné pour rejoindre les citoyens là où ils sont… c’est-à-dire devant leurs ordinateurs.

À propos, qui paie les "mots-clés" du député de Verchères? Vous, évidemment. Le portail www.stephanebergeron.com, tout comme la publicité achetée à Google, est financé à même les deniers que l’Assemblée nationale verse à ses députés pour leur permettre d’informer les citoyens.

Même si ces publicités sont payées avec des fonds publics, il n’y a aucun délit – pour l’instant -, précise le porte-parole du Directeur général des élections (DGE). À l’extérieur de la période électorale, les députés et les candidats n’ont pas à rendre compte de leurs dépenses. "Rappelons-nous Marc Bellemare, à Québec, qui avait mis des grands panneaux au mois de mai en prévision d’élections au mois d’octobre. C’était des dépenses de publicité, mais pas des dépenses électorales", illustre Denis Dion.

Mais que se passera-t-il lorsque les élections seront décrétées et que le blackout publicitaire tombera sur le Québec? Le DGE parviendra-t-il à faire respecter la Loi électorale jusqu’aux confins du Far Web ou la Toile deviendra-t-elle une zone franche où tous les coups sont permis?

LE DGE N’EST PAS PRÊT

Au moment où nous avons joint le DGE, on ne semblait pas encore s’être posé la question. "Habituellement, c’est la radio et la télévision qui sont visées [par le blackout]. Pour Internet, il va falloir que je m’informe", nous répond le porte-parole, pris de cours par la question.

Pour sa part, le député péquiste de Verchères estime échapper à l’interdiction. "Il n’y a pas de blackout sur Internet. On a eu un avis du DGE à l’effet que l’interdiction de faire de la publicité dans les sept jours suivant le lancement des élections concerne la radio et la télévision, donc les médias traditionnels." Aussi compte-t-il allier poignées de main, blogue, baladodiffusion et publicité pour séduire les électeurs. Question de ne pas utiliser les fonds publics à des fins partisanes, le député prévoit toutefois rediriger les clics de son site Web – financé par l’Assemblée nationale – vers celui du Parti québécois.

Vérification faite, le DGE nous donne cependant un autre verdict. En période électorale, les publicités sur le Net doivent être autorisées et authentifiées comme telles, au même titre que les publicités à la télévision ou dans les journaux. Plus encore, contrairement à ce que croyait Stéphane Bergeron, le blackout de sept jours suivant le décret des élections s’applique également à Internet. En redirigeant les publicités achetées à Google vers le portail du PQ, le député commettrait une faute qui pourrait lui coûter cher. Entre 500 $ et 10 000 $.

Par contre, rien ne garantit qu’il serait pris la main dans le sac, puisque le DGE n’a pas l’intention de constituer une police du Web et qu’on laisse aux candidats le soin de "stooler" leurs adversaires. "En période électorale, il y a un phénomène de surveillance naturelle entre les partis politiques. Dès qu’il y a contravention, son concurrent nous appelle pour nous avertir. […] Notre but, ce n’est pas de poursuivre les gens devant les tribunaux, c’est de faire en sorte que la loi soit respectée", explique le représentant de l’organisme chargé de garantir le bon déroulement des élections dans la province.

VOL D’IDENTITÉ

Si le député péquiste fait figure de pionnier au Québec, en France, on a atteint le stade où la publicité électorale flirte avec le vol d’identité.

Début 2006, l’Union pour un Mouvement populaire (UPM) – un regroupement de partis politiques français – a acheté à Google le patronyme de Loïc Le Meur, un des plus célèbres blogueurs de la Toile francophone. De quoi faire sursauter le principal intéressé, qui s’est aussitôt insurgé sur son blogue: "Si vous cherchez dans Google mon nom, une campagne pour Nicolas Sarkozy apparaît. […] Le Parti socialiste va-t-il s’y mettre aussi?" constate Loïc Le Meur. "Moi, cela me fait plutôt marrer s’il s’agit de grands partis [mais] je réagirais immédiatement s’il s’agissait [de partis] d’extrêmes de gauche ou de droite."

Si de tels cas ne se sont pas encore présentés au Québec, les prochaines élections pourraient être riches en surprises. En attendant, Stéphane Bergeron compte bien continuer à faire de son site Web une courroie de transmission entre l’Assemblée nationale et les citoyens de sa circonscription. "On fait beaucoup de travail de communication, mais il arrive souvent que nos points de presse ne reçoivent pas toute l’attention qu’on estime qu’ils méritent. Alors au moins, en publiant l’information sur notre site Web, on peut donner une seconde vie à ces outils qu’on met beaucoup d’énergie à développer", précise le député qui diffuse la totalité de ses interventions au Parlement en baladodiffusion.

C’est d’autant plus vrai que la publicité sur Google permet au député de faire connaître son portail tout en respectant son budget. Entre 5 $ et 10 $ par jour, payables au clic, explique David Joly, le crack d’informatique derrière ce coup de pub. Mais à ce prix, on atteint rapidement le fond de la caisse, de sorte que, passé un certain nombre de clics, la campagne est désactivée jusqu’au lendemain.

Par ailleurs, afin d’éviter que la caisse ne se vide trop vite, on fait du geotargeting. C’est-à-dire que seuls les internautes identifiés comme habitant au Québec verront la publicité. Le hic, c’est que beaucoup de Québécois utilisent des connexions Internet qui transitent par Toronto, comme Sympatico, ce qui laisse croire à Google qu’ils habitent la Ville Reine. Conséquence, même s’ils résident dans le quartier Saint-Sauveur, ces internautes ne verront jamais la campagne du porte-parole du PQ en environnement.

Est-ce à dire que la campagne passe à côté de sa cible? Tant s’en faut, croit David Joly, qui estime qu’en se positionnant sur la Toile, son député défriche un sentier qui pourrait bien être fort achalandé lors de la prochaine campagne électorale.