Que faire quand, par médias interposés, le Québec au complet s’arrache les yeux sur la question de son racisme, et qu’on a l’impression d’avoir vidé la question depuis un moment déjà?
On parle de cul, tiens.
Pourquoi le cul? Pour le plaisir, c’est sûr, mais surtout parce que le sexe est une culture et parce que notre rapport au sexe, surtout celui des autres, est au moins aussi hypocrite et tordu que celui qu’on entretient avec les cultures étrangères.
Par exemple? Disons que je vous avoue bien candidement qu’il m’arrive de consommer de la porno, que l’une de mes lectures favorites est celle de Nerve.com, un magazine virtuel consacré au sexe. Avouez que vous m’imaginez en pervers fini. Avouez que vous me voyez déjà en train d’attacher une fille aux tuyaux brûlants du calorifère.
Avouez que vous oscillez entre le dégoût et la curiosité de découvrir ce que recèlent mes fantasmes et la nature de mes obsessions, de mes perversions.
Mais cela, vous le pensez en privé. Car en public, notre rapport au sexe relève surtout de l’indignation. Un réflexe paresseux qui nous fait sourciller ou carrément hurler lorsqu’on évoque l’hypersexualisation des ados, les cours de strip-tease aérobique et de maniement du poteau de danseuse pour mères de famille, les stars de la pop à moitié nues, la porno sur Internet, les mini-jupes à ras-le-bonbon, les vidéoclips de rap ou les concours de gilets mouillés au spring break.
En fait, notre rapport au sexe est un choc culturel à l’intérieur de notre propre culture. C’est un combat entre l’intellect et l’animal que l’intellect est assuré de perdre. D’où l’indignation que cela suscite.
Remarquez, parfois, c’est bien, l’indignation. Ça cogne fort. Ça réveille les gens qui dorment sur la switch, ça réconforte un peu les parents découragés de voir leur fille partir pour l’école fagotée comme une petite pute, ça console ceux qui n’aiment pas le cul et ne comprennent pas la fascination qu’il exerce sur les autres.
Sauf que dans la réalité, l’indignation ne nous avance à rien.
C’est ce que déplore la journaliste Ada Cahoun dans un court essai, justement publié sur le site de Nerve, où elle observe l’avènement d’un nouveau puritanisme. Un à un, elle démonte les arguments des tenants de cette pudibonderie qui déchirent leur chemise (oups!) à répétition sur la place publique pour dénoncer l’espace démesuré accordé au sexe dans les médias, dans la culture et le divertissement.
Mais surtout, Cahoun nous écrase à la gueule des évidences d’une rare lucidité dans notre élite journalistique bien-pensante, se réclamant d’un postféminisme qui dit: ben oui, en théorie, il y a peut-être quelque chose de dégradant à exposer toute cette chair, à porter des talons de cinq pouces, à avoir des comportements sexuellement ostentatoires, mais dans la pratique, nous cherchons à plaire, tout le monde veut plaire. Tout le monde veut se sentir désiré.
"Ce qui traumatise ces néo-prudes, écrit-elle, c’est de constater jusqu’où nous sommes prêtes à aller pour séduire. On nous reproche de jouer le jeu des hommes en portant des talons hauts, des mini-jupes. You bet que nous jouons leur jeu! Ils font ce qu’ils doivent faire pour nous attirer, nous pareil. N’est-ce pas là toute la mécanique de la séduction, et du sexe?"
Je vous disais qu’il s’agit d’un choc culturel, mais c’est pire, c’est une véritable fracture.
Des féministes, on comprend qu’elles constatent un recul pour la condition de la femme. Des sexologues, on saisit qu’ils peuvent témoigner de l’incidence de la porno dans la vie sexuelle des couples et des frustrations que cela provoque. Et de la droite, on n’est pas trop surpris qu’elle sublime encore une fois son obsession sexuelle dans un discours qui lui permet, à défaut de le faire, de le dénigrer pour au moins en parler.
En face, vous avez le monde ordinaire. Des humains animés par l’envie de plaire, d’être désirés, des jeunes qui cherchent à choquer leurs parents, des hommes parfaitement sains de corps et d’esprit, mais qui assouvissent un certain voyeurisme à travers la pornographie.
J’aurais envie de dire qu’on assiste à un dialogue de sourds, mais ce n’est même pas le cas. Au pire, on prêche dans le désert. Au mieux, on parvient à humilier les gens, à les faire se sentir cheap, minables, les comparant à un troupeau d’animaux en rut auquel on a retiré tout libre arbitre, prétendant qu’ils sont totalement manipulés par les médias et leurs hormones.
À écouter les bien-pensants, c’est comme si la porno était un truc récent. Comme si le sexe, la séduction et le désir étaient nouveaux, et qu’ils pouvaient être régulés par une quelconque morale ou une éthique commune à tous. Comme si la pression de la performance sexuelle était apparue avec le Web. Comme si l’objet de nos fantasmes devait être parfaitement acceptable.
Cela dit, qu’est-ce qu’on fait? On ferme Internet, on bannit la porno? On enferme nos filles au sous-sol? On met des toutounes dans les pubs de lingerie? On place le sexe à l’index?
Ben voyons. Les idéaux seront toujours démesurés. Les standards de beauté , inatteignables. Le sexe, omniprésent. Il en a toujours été ainsi, à différents degrés selon les époques.
Ne reste qu’à éduquer un peu. À condition qu’on puisse faire autre chose que la morale à des jeunes qui se fichent éperdument de ce que pensent de vieux chnoques qui ont oublié qu’eux aussi, à leur âge, ils et elles n’avaient rien à faire de l’histoire du féminisme et de la rectitude politique lorsqu’il était question de plaire, de céder au désir.