Christian Levac : Comprendre la rue
Société

Christian Levac : Comprendre la rue

L’anthropologue Christian Levac a signé une étude réalisée sur les jeunes de la rue, sous le parrainage du Refuge des jeunes et de Dan Bigras.

"Ma mère travaillait pas, mon père, y’était dans l’extermination. Faque, ils m’ont exterminé de la famille." Ces propos sont d’Alexandre, jeune de la rue. Ils ont été recueillis, comme ceux de vingt de ses semblables, par Christian Levac, anthropologue et intervenant social qui les a accompagnés pendant 14 mois. Il les a écoutés et côtoyés comme personne ne voudrait le faire.

"T’es comme nous autres, lui a dit Kinan. T’es tout le temps dans (la) rue." Ces citations abondent dans l’étude de Levac, réalisée pour le compte du Refuge des jeunes et dévoilée il y a quelques jours. Elles abondent au point de former l’essence du document de 400 pages La rue, un chemin tracé d’avance?

Le chemin paraît en effet tracé: enfance pourrie, échecs scolaires, pas plus de succès ni en famille d’accueil ni en centre. La dérive est claire. Échec après échec, rejet après rejet, à 18 ans, c’est la rue qui ouvre ses portes.

" Non, dit Christian Levac, ce n’est pas parce qu’on suit ce parcours que l’on aboutit inévitablement à l’errance. S’immiscer dans cette voie peut la faire dévier. Sans ça, on aurait beaucoup plus de gens dans la rue, dit le diplômé de l’Université de Montréal. Il y en a quand même qui l’évitent."

Ce n’est pas la première fois que le triste sort des plus malchanceux fait l’objet d’une étude sérieuse. Celle-ci se démarque par le fait de donner la parole aux jeunes. Un peu comme le faisait Manon Barbeau dans L’Armée de l’ombre. La rue, un chemin tracé d’avance? n’est pas, par contre, un document artistique. Quoique…

"Aucune étude comme celle-ci n’avait été faite, assure Dan Bigras, porte-parole du Refuge des jeunes. Elle est portée par les jeunes et, en même temps, elle est d’une grande rigueur scientifique. C’est un ouvrage de référence."

Destinée autant aux intervenants qu’aux fonctionnaires, aux spécialistes qu’au grand public, la recherche de Christian Levac démystifiera, espère-t-il, la réalité de la rue. De ses origines (famille, école, services sociaux) à ses voies de sortie. Bâtie à coups de citations racontant vingt et une histoires vraies, elle vise à éliminer préjugés, mépris et indifférence à l’égard des jeunes de la rue.

Levac affirme avoir appris des choses, malgré le fait qu’il fréquentait déjà cette "clientèle", depuis sept ans.

"Je ne connaissais pas le monde de la rue, dit-il. Je ne le croyais pas si intense, je ne savais pas comment la drogue se négociait…" Il faut arrêter de voir ces jeunes, souligne-t-il, comme des gens amorphes, sans idées ni énergie. Ils sont débrouillards et rusés, se déplacent constamment, tellement que c’est lui qui "traînait la patte".

Le mérite de l’étude, selon Dan Bigras, c’est qu’elle apporte des solutions "claires et concrètes". Les gouvernements, eux, font le contraire, selon l’auteur-compositeur. Il n’en revient pas, par exemple, que la Ville de Montréal ait ressuscité ce règlement interdisant la fréquentation nocturne des parcs.

"On a chassé les jeunes du carré Viger, rappelle-t-il entre deux sacres. Ils vont maintenant dans les entrées des condos. Imaginez la réaction des propriétaires. La cohabitation devient plus difficile. Toute une solution!"

Levac démontre aussi que ces jeunes, malgré leur condition, ne sont pas inutiles. Il en fait des "producteurs de savoir", des modèles de force et de détermination.