Pop Culture : La forêt « réfléchie »
Société

Pop Culture : La forêt « réfléchie »

Il y a tant de choses qui ont été dites et écrites sur l’oeuvre d’art public Réflexion que j’attendais le moment propice pour éplucher un peu le tollé qu’a soulevé cette "forêt d’arbres" qui a été plantée à l’intersection des boulevards Maisonneuve et Sacré-Coeur à Gatineau (secteur Hull).

Et voilà que la Ville a convoqué la presse par un mercredi après-midi glacial, en pleine heure de pointe, à l’inauguration officielle de ce projet artistique (en compagnie de l’équipe créatrice composée d’un sculpteur, d’un paysagiste et d’un architecte). Rappelons que Réflexion a été choisie parmi 21 propositions reçues, lors d’un concours lancé en 2005 à l’échelle provinciale, comme le projet répondant le mieux aux critères de sélection.

La Ville a été jusqu’à maintenant plutôt maladroite pour justifier la dépense de 300 000 $ relative à l’installation de ces 65 arbres d’acier. Le conseiller Simon Racine (président de la Commission des arts, de la culture, des lettres et du patrimoine) a utilisé la rubrique d’opinion du quotidien Le Droit au printemps dernier en se noyant dans de laborieuses précisions. La conseillère du district de Hull, Denise Laferrière, aurait déclaré au journaliste Patrick Voyer en réponse à des protestations que "dans une ville, les symboles sont aussi importants que de nourrir les gens" (La Revue du samedi, 16 décembre 2006). Puis, une journée avant l’inauguration, la Ville faisait paraître dans Le Droit, une page sous la rubrique Chronique municipale, pour évoquer notamment le symbolisme de l’oeuvre (rappelant l’importance de l’industrie du bois d’hier à aujourd’hui), définissant cette série de poteaux comme un "point de repère", un signalement marquant "l’entrée au centre-ville", alors qu’une fois éclairée le soir, elle serait une "constellation montrant la voie à suivre" (Le Droit, 24 janvier 2007). C’est gnangnan à souhait comme façon de décrire, mais reconnaissons tout de même la poésie de l’affaire…

Réflexion

Enfin, semblerait que la Ville n’a pas mis le doigt sur ce qui faisait tiquer plusieurs citoyens…

En recueillant les commentaires à droite et à gauche, j’en viens à la conclusion que ce n’est pas tant le choix du projet qui soulève la colère, mais le fait que cette somme soit dépensée dans l’art public. La plupart dénoncent l’ironie de planter des arbres d’acier alors qu’on aurait pu en planter des vrais, d’autres parlent de priorités plus urgentes – l’aménagement de parcs, les femmes battues et les enfants affamés, les nids-de-poule et j’en passe. Or, la politique culturelle de la Ville de Gatineau alloue 1 % de son budget à l’art public. 1 %, les amis! C’est mince, c’est même très mince pour la cinquième ville en importance au Québec, après Montréal, Québec, Laval et Longueuil.

Attaquons-nous au reste du portefeuille pour ce qui est des infrastructures et autres projets sociaux, mais de grâce, ne touchons pas au petit pour cent qui garantit l’expression de l’art urbain! Qu’on aime ou n’aime pas l’oeuvre Réflexion, je pense qu’on devrait se réjouir que la municipalité "mette ses culottes" en donnant une place à l’art dans son renouveau urbain, en lançant un concours des plus audacieux et décrit comme "le plus important initié à ce jour par une municipalité" (La Vie des arts, n° 205, hiver 2006-2007).

Je terminerai en disant qu’un des buts premiers de l’art est de provoquer les discussions. Réflexion a prouvé que les Gatinois sont encore allumés sur ce plan.

Les gens approuvant le projet ont néanmoins été plus discrets sur la place publique, mais ils confronteront certainement les opposants un jour ou l’autre, ce qui contribuera à nourrir le débat. Puis, sans même s’en rendre compte, les pires détracteurs de l’oeuvre vont en faire la publicité, bien malgré eux… Après la tempête, les citoyens les plus rébarbatifs se surprendront à apprécier l’oeuvre et même à en vanter les vertus auprès des touristes ou autres visiteurs d’occasion. Non sans sarcasme au début, mais lentement les pointes amères vont laisser place à l’accalmie. Ça s’est vu souvent… Rares sont les oeuvres d’art public ayant fait l’unanimité au départ, mais toutes ont fini par "faire partie du décor" et ont contribué à forger la personnalité particulière des milieux urbains…