Pop Culture : Question de valeur
Société

Pop Culture : Question de valeur

Le court métrage n’est pas un petit film. Il n’est pas un condensé, une oeuvre tronquée ou amputée. Ce n’est pas le morceau de quelque chose de plus grand qu’on n’avait pas les moyens de réaliser. Chacun est une oeuvre légitime, une porte d’entrée donnant sur un univers extrêmement riche qui, souvent, ne pourrait être déployé autrement.

C’est simple, et pourtant… Plusieurs n’adhèrent pas encore à cet état de fait.

C’est vrai qu’il est de bon ton aujourd’hui de réduire la portée artistique des nouvelles technologies. L’artistique devenu virtuel, l’effort s’en trouverait immédiatement évacué. Ce qui enlèverait du même coup sa valeur à l’oeuvre d’art.

Pourtant, quand on voit des manifestations comme celle du festival Regard, on est en droit d’accorder une certaine importance au phénomène. Pas parce que l’organisation a réussi à approcher le chiffre magique des 20 000 festivaliers – cet argument, s’il a un poids économique, n’accorde aucune valeur aux oeuvres en elles-mêmes… On en a vu des success stories sombrer dans l’oubli sans avoir marqué l’histoire, ne jouissant pas souvent de la reconnaissance des critiques et des théoriciens de l’art.

Bien sûr, le festival Regard, après cette 11e édition, prouve que l’essor est toujours possible et que la région gagne sur tous les plans en soutenant l’événement. Mais pour moi, la valeur des courts métrages se situe bien au-delà de ce mariage à consommation sans cesse renouvelée qui lie un public accro à ce festival devenu incontournable.

On a tort de tenter de justifier économiquement – ou même LOGIQUEMENT – cette manifestation artistique. Isabelle Blais, porte-parole de la 10e édition du festival, affirmait alors en entrevue que le court métrage est le berceau de la création cinématographique, que c’est souvent là que les acteurs commencent. Encore cette année, Sylvain Marcel – porte-parole en 2007 – précisait en conférence de presse que le court était en quelque sorte une école pour acteurs.

Si les intentions des porte-parole sont bonnes – ils sont là pour parler du festival, c’est ce qu’ils font -, je trouve qu’il est dangereux de colporter cette image d’une pépinière pour artistes du septième art.

J’ai animé un déjeuner-causerie, dans le cadre du festival, où étaient conviés sept réalisateurs: Xavier Diskeuve (récipiendaire en différé d’un prix du Festival des films du monde), Alexis Fortier Gauthier, Jean-François Rivard (le festival lui a consacré une rétrospective), Guy Edoin, Martin Rit, Félix Dufour-Laperrière et Rosa Zacharie (qui a fait une apparition dans le film improvisé de Francis Leclerc).

Si tous s’entendaient assez bien pour dire que le court métrage pouvait mener à la production de longs métrages ou de téléséries (Jean-François Rivard, réalisateur des Invicibles, en était témoin privilégié), plusieurs ont tout de même frissonné lorsque je leur ai parlé de ces allégations.

C’est compréhensible. Ils voyaient leur travail discrédité, leurs efforts refoulés au rang de "pratique", d’échauffement, de petit art…

"Des fois, il y a des sujets qui occupent juste quatre minutes de discours… C’est pas tous les sujets, toutes les idées, tous les choix formels qui peuvent se déployer sur une heure et demie", mentionnait Félix Dufour-Lapierre, ce dont l’animation (Un, deux, trois crépuscule) est une preuve flagrante. En effet, les sujets abordés sont souvent développés avec une telle intensité qu’elle serait tout simplement insoutenable pendant deux heures.

Si le court métrage est justement court, ce n’est donc pas parce qu’on se limite à faire peu. Au contraire, certains réalisateurs présents mentionnaient que pour le court métrage, la durée était une contrainte plutôt négligeable. Selon Jean-François Rivard, "les seules contraintes dépendent de tes désirs, de jusqu’où tu veux aller avec ton court métrage. Souvent c’est une contrainte financière, sinon tout est possible avec la technologie qu’on a aujourd’hui. Tu es ta propre contrainte".

Un problème récurrent dans notre perception du court, c’est cette tendance à toujours le comparer au long. "C’est pas une affaire de comparaison, soutient Rosa Zacharie. Ce sont des oeuvres différentes. [Le court métrage] porte une pensée, une idée, une réflexion… C’est une oeuvre."

Il n’est pas exclu que certains réalisateurs orientent leur pratique du court métrage dans l’optique de s’en servir comme d’une expérimentation ou même d’une carte de visite, montrant leur talent à la face du monde, s’armant d’un court pour courtiser d’éventuels producteurs.

Il y a des transgenres dans toutes les sphères de la culture.

Mais un festival qui a atteint l’importance que l’on reconnaît aujourd’hui à Regard devrait insister sur le fait que le court n’est pas de facto un à-côté, un en-attendant, une étape dans le parcours des réalisateurs.

Le court peut être une fin en soi. Et c’est là toute la beauté de la chose.