État de crise
Cette crise financière, les dirigeants du Théâtre La Chapelle, qui envisagent de mettre la clé dans la porte à la fin de la saison en cours, l’ont bien vu venir. Selon le directeur artistique, Richard Simas, il y a des incohérences historiques dans l’ensemble du système des subventions au Québec: "Pour la saison 2006-2007, le CALQ a accordé 450 000 $ pour l’Agora de la danse, 325 000 $ pour l’Usine C, 237 000 $ pour Tangente et seulement 90 000 $ pour La Chapelle. On ne demande pas la lune, simplement une reconnaissance de notre mandat, de notre histoire et de la quantité de travail qu’on fait. Si La Chapelle ferme ses portes, les subventionneurs vont perdre un lieu de diffusion qui fait un travail incroyable pour très peu d’investissement, une pensée, une vision et un savoir-faire qu’il a fallu 17 ans pour construire."
Même cri d’alarme du côté du Studio 303, lieu de formation, de diffusion et de production en danse et en arts multidisciplinaires, logé dans l’édifice Belgo, au centre-ville de Montréal. La directrice adjointe, Lys Stevens, affirme qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’annuler les spectacles qui devaient être présentés du 1er avril au 30 juin 2007: "Nous avons toujours travaillé avec le minimum, surtout si on compare avec nos pairs, mais comme nous n’avons pas reçu l’argent que nous attendions pour finir l’année, nous avons décidé de cesser nos activités de diffusion. Nos subventionneurs et nos clients vont comprendre que lorsque nous ne sommes pas subventionnées à la hauteur de nos activités, il y a des conséquences."
La Chapelle et le Studio 303 ont été fondés à la fin des années 80, c’est-à-dire à la même époque que les compagnies de Marie Chouinard, Louise Bédard, Paul-André Fortier, Sylvain Émard, Danièle Desnoyers… toutes celles qui viennent de recevoir d’importantes subventions de la part du ministère de la Culture et des Communications du Québec: 2,1 millions pour que Circuit-Est s’établisse à l’Espace Jean-Pierre Perreault, 1,2 million pour que Marie Chouinard s’installe dans un immeuble de trois étages sur l’avenue de l’Esplanade. Bien que toutes ces annonces sentent la campagne électorale à plein nez, personne n’irait jusqu’à prétendre que le financement des compagnies établies et des artistes confirmés est une mauvaise idée. Mais qu’en est-il des lieux de diffusion, de création, de résidence et d’expérimentation? Les laissera-t-on disparaître? C’est entre leurs murs que les grands créateurs de demain font, en ce moment même, leurs premières armes, affrontent leurs premiers publics.
Dans une lettre publiée dans Le Devoir du 26 janvier, Guy Cools, dramaturge et ex-directeur de la Fondation Jean-Pierre Perreault, résume fort bien la situation: "La santé d’un paysage artistique, comme celle d’un système écologique, ne se définit pas seulement par ses grands arbres, ses vedettes ou ses festivals mais surtout par la diversité et la richesse de ses fardoches. Le Théâtre La Chapelle et le Studio 303 sont deux structures qui, depuis longtemps et avec très peu de moyens, jouent un rôle vital dans le paysage artistique montréalais en soutenant le passage des générations, la relève, le renouvellement. Le fait que ces structures soient toutes deux en crise au même moment et pour la même raison, à savoir l’incapacité des structures gouvernementales de réagir adéquatement, même à moyen terme, est le symptôme de la maladie fondamentale du système de gestion."
Selon Lys Stevens, le désengagement des subventionneurs envers les lieux de diffusion risque d’enrayer toute la "chaîne de montage": "Le gouvernement aime mettre de l’argent dans le béton, parce que c’est un moyen d’investir sans s’engager à long terme. C’est bien beau d’avoir des lieux pour créer les spectacles, mais il faut aussi des endroits où les présenter." Cette période éprouvante, Richard Simas la traverse la tête haute. Il sait que son théâtre est aussi nécessaire aujourd’hui que lorsqu’il l’a fondé, il y a 17 ans: "Si les jeunes ne s’intéressaient plus à La Chapelle, qu’ils n’en avaient plus besoin, je baisserais les bras. Mais ce n’est pas le cas. Voilà pourquoi il nous faut ces 100 000 $!"