Dans un commentaire formulé sur le blogue Saguenay/Alma: À perte de vue, une lectrice s’inquiétait du silence du milieu culturel dans la présente campagne électorale:
"JE ME SOUVIENS, quand je travaillais dans le milieu communautaire, que les organismes d’action sociale, en alliances, sur certains dossiers, avec les syndicats, de même que les groupes de services, profitaient d’une campagne électorale pour aller rencontrer les candidats(es) des partis politiques, afin d’obtenir des engagements formels en lien avec différentes causes. Je me demande si les représentants du milieu des arts et de la culture, dans le cas de cette présente campagne, profiteront d’une tribune quelconque pour faire valoir leurs revendications." (C. Girard)
Il est vrai que, pour l’instant, c’est le calme plat. Nous avons déjà vu des débuts de campagne plus flamboyants. Nous savons par contre que ça grenouille un peu partout au Québec dans le camp des étudiants. Ça va certainement brasser un peu. Parce qu’ils n’ont rien à perdre.
Le problème, avec un milieu ultra-subventionné comme la culture, c’est qu’il a tout à perdre. Parce que prendre position contre le pire, c’est aussi prendre position pour le moins pire. Et malheureusement, ce n’est pas toujours le moins pire qui gagne ses élections, ce qui expose au danger de devoir ravaler ses paroles – et tous ses moyens de pression – après le jour fatidique du scrutin.
En fait, l’intérêt du milieu culturel pour les élections est gangrené par certains facteurs incontournables dans la conjoncture actuelle.
D’abord, dans la mouvance matérialiste qui s’amplifie depuis bon nombre d’années, le confort individuel est devenu une variable importante du choix entre l’action et l’assujettissement muet. C’est en partie la peur qui retient les artistes de se liguer, de sortir dans les rues. Ceux qui ont acquis un certain confort refusent de le mettre en jeu. Et ceux qui n’ont pas encore acquis ce confort ne veulent pas se mettre de bâtons dans les roues avant d’y arriver.
Oui, si on regarde derrière soi, on voit de jeunes hommes et femmes, nus sous leurs ponchos, barbe au menton et cheveux en broussaille, à cette époque bénie où la marijuana était encore inoffensive, sortir dans la rue pour un oui ou pour un non, manifestant plus ou moins pacifiquement en s’embrassant à bouche que veux-tu…
Oui, il fut une époque où il était de bon ton de se départir de ses biens terrestres, de faire un retour à la terre, de vivre en commune avec peu de moyens mais peu de frais. À cette époque révolue, le confort ne pesait pas lourd dans la balance. Or, combien d’artistes vivent encore à la douzaine, empilés dans une bicoque de fond de rang? Combien dorment dans le partage harmonieux d’un dortoir tapissé d’une pluie de fleurs irisées? Combien cultivent encore le rêve de cette commune libérée de toute entrave qui permette enfin l’épanouissement de chacun?
Les beaux rêves communaux se sont éteints, pour la plupart, ou alors mutés en entreprises plus ou moins florissantes. Après avoir libéré le sexe, après avoir vu mourir au bout d’une seringue quelques-uns de leurs idoles, après avoir vu se taire les artistes qui défendaient leurs idéaux, d’aucuns en viennent à la même conclusion. Au bout du compte, on ne peut que se regarder dans le miroir et se convaincre de se taire.
Le cynisme qui se répand comme une humeur noire au sein de la population englue AUSSI le milieu culturel. C’est une excuse un peu lâche, peut-être, mais avec tous les revers essuyés jusque-là, difficile de ne pas se retourner vers son nombril dans une attitude de repli narcissique ou de découragement – serions-nous en train de comprendre la mode des nombrils sertis?
Enfin, même si un artiste croit très fort en un projet, il est parfois difficile de le vendre à la population en général. Parlons-en aux artistes et aux artisans du milieu culturel qui se sont levés pour exiger la naissance du centre culturel du Mont-Jacob, il y a quelques années… L’appui n’a pas été facile à gagner, on s’en souviendra.
La cause culturelle est difficile à vendre. Ou difficile à acheter, ce qui, dans les faits, arrive au même résultat.
Pour sortir dans la rue et crier bien fort, il faut plus qu’un porte-voix. Il faut assurer ses arrières. Il faut avoir un point d’ancrage dans la population, une crédibilité à tout casser. Sans ce genre d’assise, le cosmos nous entendra avant le gouvernement – serions-nous en train de comprendre l’intérêt populaire pour les religions orientales?
Il est vrai qu’on peut s’émouvoir à la souvenance d’une époque où l’on se permettait de rêver. Et on peut s’inquiéter de l’apparente inaction du milieu culturel depuis le début de la campagne électorale. Or, les artisans de la culture sont-ils bien placés pour convaincre les candidats aux élections? Sans appui populaire, leurs efforts en valent-ils la peine? Ce n’est peut-être pas à eux d’alimenter le débat, mais à la population de crier haut et fort l’intérêt qu’elle porte à sa propre culture.