…DE GIVRE – Soixante-quinze mille personnes envahissent la ville. Une marée humaine patauge vigoureusement dans la sloche qu’a léguée la bordée de neige de la veille. Des enfants perdent leurs parents dans la foule. La musique érafle les tympans. Des flasques et des pétards s’échangent sous l’éclipse de lune tandis qu’une bande de superbes mongols dégringolent une pente à 45 degrés d’inclinaison… sur des patins.
Pendant une poignée de minutes, à peine quelques heures, Québec retrouve cet esprit de décadence socialement acceptable (s’cusez l’oxymore) qu’on ne lui connaît plus qu’à la Saint-Jean, et encore.
Il s’en trouvera évidemment pour adresser des reproches à cet événement qui est avant tout une immense pub de drink énergétique, un sport extrême inventé uniquement pour vendre.
Sombre entreprise commerciale et vile vitrine marketing que ce Redbull Crashed Ice? O. K., je veux bien. Mais à une époque où le Carnaval vend des biscuits, où la plupart des festivals se disputent la lucrative visibilité d’un brasseur de houblon ou d’une compagnie de services téléphoniques, alors que la plupart des amphithéâtres consacrés au sport portent le nom d’une entreprise ou d’une marque de commerce, le vertueux prêche en faveur de la pureté anticonsumériste ne sonne peut-être pas faux, mais il semble un peu vain.
Même chose pour cette menace de recours collectif que laissent poindre quelques commerçants de la côte de la Montagne où se tenait la course de patinage extrême (Le Soleil, 6 mars 2007). Soixante-quinze mille personnes débarquent en ville pour un soir, cela nuira à quelques-uns, d’autres en profiteront. Mais il faut voir qui se plaint au juste: un vendeur de poupées gonflables et le proprio d’un restaurant moins qu’ordinaire.
Ou si vous préférez: un attrape-nigaud et un attrape-touristes.
Ainsi, en s’installant dans la côte de la Montagne, bloquant du même coup l’accès à ces commerces, l’événement aura repoussé de quelques heures le cruel désenchantement pour de pauvres types qui se seraient branlés dans une copine de latex, et préservé les brebis égarées de l’abominable cuisine du Vendôme.
On savait déjà que cette seconde visite du Redbull Crashed Ice générerait de faramineuses retombées économiques sur une ville en hibernation, sans compter le rayonnement médiatique que cela représente. Ce qu’on ignorait, c’est que l’événement recèle aussi quelques vertus humanitaires.
…DE VIES – Depuis le jugement de la Cour suprême qui interdit aux photographes de capter – et donc aux journaux de publier -, sans son autorisation, l’image de n’importe quel quidam fréquentant un lieu public, le devoir de photographier le réel incombe aux journalistes, écrivains, chroniqueurs ou autres scribouillards.
Un peu comme pour le photographe, c’est une inclination de l’esprit qui permet ce genre d’exercice. Une manière de capter ce que, dans la furie de l’existence, l’oeil préoccupé par sa trajectoire dans un quotidien balistique ne voit plus.
Je l’ai souvent écrit ici: cette façon d’envisager le monde, ce sont surtout les écrivains de fiction qui me l’ont inculquée. Et c’est Foglia qui m’a montré, comme à bien d’autres, qu’on peut en faire des chroniques qui exposent de tout petits riens, des trucs en apparence anodins, presque invisibles, qui lorsqu’on y trempe la plume, injectent une troublante dose d’humanité.
Prenez cette femme, la soixantaine, invisible justement. Dans le Couche-Tard de la côte de la Fabrique, alors que les fêtards du Crashed Ice s’alignent derrière les caisses qui fonctionnent à plein régime, personne n’a vu qu’une employée et un homme la traînent jusqu’à la porte. Personne n’a vu son corps presque inerte, dissimulé sous un lourd manteau de fourrure. Ni ses pieds qui, ne décollant pas du sol, laissent des traces continues dans la saleté du plancher. Personne n’a vu son visage éteint, ni celui de l’homme qui l’accompagne, accablé.
Et qui a remarqué le flûtiste qui jouait comme un pied, juste en face, devant l’entrée du stationnement de l’hôtel de ville? Qui a vu ce nouveau couple qui s’embrassait dans la lumière blanche des projecteurs de la piste de course? Ou cette fille qui pleurait doucement à la porte des toilettes du party V.I.P. de Redbull, le son de ses hoquets enterré par la sono? Qui se souvient des yeux de ce garçon, sur la piste de danse, caressant le corps de la fille devant lui sans la toucher, et sans qu’elle ne s’en aperçoive, trop absorbée qu’elle était à bien paraître?
Mais peut-être n’y étiez-vous pas. Regardez, j’ai fait des photos.
…ET ENFIN, D’EXCUSES – Puissiez-vous me pardonner ce texte de la semaine dernière où, m’emmêlant dans mes pinceaux, je vous ai gravement induit en erreur. Une bourde qu’on a tôt fait de m’écraser à la gueule, m’expliquant de long en large que les propositions concernant l’indexation des frais de scolarité dont je me faisais l’apôtre n’étaient en réalité pas relatives aux revenus des usagers, mais bien à l’augmentation du coût de la vie. Autrement dit, il s’agit de dégeler les frais de scolarité et d’en augmenter le coût en suivant l’indice des prix à la consommation. Rien à voir avec le revenu de l’étudiant ou de ses parents. Maxima mea culpa. Avec mes excuses. Cela dit, on y reviendra…