Politique, as usual
Alors qu’aux États-Unis et en France, les candidats des campagnes électorales déballent un véritable arsenal technologique, au Québec, les partis mettent timidement le pied dans le futur. Mais si le médium évolue, la politique, elle, n’a pas changé de nature.
"Pendant qu’en France, on parle de l’élection Dailymotion, les États-Unis sont en train de préparer, pour l’année prochaine, l’élection YouTube." En quelques mots, Versac, blogueur français, résume sur le Blog de la présidentielle les principaux axes de ce qui fait aujourd’hui partie intégrante des stratégies politiques des grands partis: Internet, et plus encore, les blogues et la vidéo comme nerf de la guerre.
Il fallait donc s’y attendre: Internet vole la vedette de la campagne au Québec. Et ce n’est pas hier que les partis politiques ont appris à composer avec le cyberespace. Bien que d’allure primitive, les sites des grands partis étaient déjà fonctionnels en 1998. En 2003, tous les partis en lice possédaient leur site, considérés alors comme des fourre-tout plutôt que comme de véritables outils marketing. Quatre ans plus tard, relookés, les sites ont gagné en simplicité. Côté convivialité, l’effort est jugé "raisonnable" par Charles-Henry Guillaume, de TP1 Communication électronique, qui vient de rendre publics les résultats d’une étude comparative. Avec une mention spéciale pour le Parti Québécois, le plus "complet en termes d’information", bien qu’il ne propose pas de lien en anglais.
Dans la même étude, on note que le site du Parti libéral est bien fait, malgré l’absence d’outils de recherche et la section consacrée aux candidats, qui ne tient pas ses promesses. Québec solidaire est complimenté pour la sobriété du site et la densité de l’information, même si Charles-Henry Guillaume note un "contenu un peu lourd, qui manque de dynamisme", et le Parti vert reçoit une mention pour son contenu en anglais, sa simplicité et ses outils de recherche. Grand perdant, le site de l’Action démocratique du Québec est quant à lui qualifié de "désastre: trop chargé, trop de bruit et aucun contenu". Et de conclure: "L’horreur!"
Plus beaux, plus simples, les sites québécois se sont aussi dotés d’outils plus avancés technologiquement. Le PQ, le PLQ et le Parti vert ont intégré leurs blogues et proposent, ainsi que Québec solidaire, des vidéos régulièrement mises à jour. Le Parti vert et le PQ ont développé leurs propres forums de discussion, et le PQ va même jusqu’à permettre la baladodiffusion. Alors, branchés, les partis au Québec? Pas tant que ça, si l’on en croit les commentaires de plusieurs observateurs. Sévère, Marc Snyder, ancien adéquiste devenu consultant en stratégies Web, va jusqu’à dire que les partis sont "complètement passés à côté de la belle occasion que représentent les blogues". Avis relayé par Frédéric Bastien, chercheur à la Chaire de recherche du Canada en études électorales, spécialisé en communication politique, pour qui "les partis politiques ont tendance à utiliser Internet pour diffuser de l’information et n’exploitent pas son potentiel interactif".
Et de fait. Si les partis usent de la vidéo, elle reste souvent enchâssée dans les sites, quand elle ne sert pas de "vide-poches de la journée", référence faite au site de l’ADQ par Thierry Giasson, professeur invité à l’Université Western Washington. Québec solidaire est le seul à diffuser ses images directement sur YouTube, ce qui lui garantit une plus ample diffusion, et ouvre la porte aux commentaires à l’extérieur de la sphère partisane. Les forums de discussion, quant à eux, restent cantonnés le plus souvent aux sympathisants. Enfin, les blogues ne remplissent pas complètement leur fonction, puisqu’ils n’ouvrent que très timidement la porte à la critique et ne proposent aucun lien à l’intérieur de la blogosphère.
Pendant ce temps, en France, Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste, pousse à fond la logique participative en inventant le forum-laboratoire de programme, tandis que Nicolas Sarkozy, candidat UMP, parti qui a créé le statut de militant internaute, tente de structurer l’ensemble des initiatives politiques sur le Net, fait sensation avec la NSTV (Nicolas Sarkozy Télévision) et permet à ses adhérents de télécharger des tracts. De l’autre côté de l’Atlantique, Barack Obama fait quant à lui exploser les barrières entre mondes virtuel et réel: à partir de son site, il est possible de créer sa propre page, son propre blogue, et d’émettre son propre contenu. Mieux encore, on encourage les militants à prendre contact les uns avec les autres, en fonction de leur situation géographique. Résultat: les militants se sentent littéralement investis d’une mission et sont galvanisés. "C’est une vraie décentralisation sur le plan tactique et sur le plan du message, commente Marc Snyder. En laissant toute la latitude aux militants, il leur donne envie d’en faire plus que s’il contrôlait tout."
Contrôle: le mot est lancé. "C’est aussi un pari. Barack Obama prend d’énormes risques. Le message lui échappe en partie. Il se met à la merci de la première folie que pourrait faire l’un de ses militants. C’est contraire au fondement même de la politique, basée sur le contrôle de l’information", ajoute-t-il. À cet égard, le sceau de mystère qui marque les stratégies Internet des partis au Québec est éloquent. Difficile, voire impossible d’obtenir de l’information, encore moins lorsqu’elle n’est pas filtrée. Les partis craignent les dérapages, échaudés par les "blogscandales" qui ont déjà secoué le monde politique. Pendant la campagne actuelle, il n’a pas fallu attendre longtemps le premier scoop tout droit sorti de la blogosphère. C’est donc au blogue antagoniste.net que l’on doit la nouvelle, propagée le 22 février dernier, qu’une candidate de Québec solidaire avait relativisé la gravité de l’usage de la violence contre le vice-président de l’Institut canadien des produits pétroliers, victime d’une tentative d’attentat à la bombe en août 2006. Ironique, quand on sait que les petits partis devraient être ceux qui bénéficient le plus des possibilités offertes par le Net, moins coûteux, et principalement utilisé par leur clientèle cible, les "natifs du Net". "Internet est surtout intéressant pour les tiers partis, le rapport de force y est plus équitable et ils sont plus présents", note Thierry Giasson. De fait, selon le site topblog.com, parmi les 10 blogues politiques les plus fréquentés au Québec il y a quelques semaines, la plupart penchent vers l’ADQ.
Aucune étude ne permet à l’heure actuelle de mesurer l’impact réel des blogues et d’Internet sur les intentions de vote. Par ailleurs, au Québec, la proportion d’électeurs disant s’informer principalement par le Web avoisinait les 15 % en 2000. En France, la proportion est moindre: 5 % des Français disent ne s’informer que par le Net et, dans les deux cas, la télévision reste le média de référence. Dans ce contexte, on peut comprendre les réticences des partis à investir plus largement la Toile. "Il y a un peu de démagogie à croire que la technologie va modifier l’équilibre sociopolitique, remarque Fabienne Greffet, politologue à l’Université Nancy-2, en France. On a tendance à s’orienter naturellement vers un blogue de son bord, ce qui ne favorise pas le débat d’idées. Quant à la communication, elle va le plus souvent des candidats vers l’internaute, et parfois de l’internaute vers le candidat, mais ça ne va pas plus loin, sauf dans le cas présent d’Obama."