Société

Desjardins : La naïveté

Treize pages. Ajoutez-y la couverture du journal qui lui est presque entièrement dévolue, et cela fait 14 pages que le quotidien La Presse consacrait mardi matin au budget Flaherty, déposé la veille.

Quatorze pages où se déclinent les milliards et les millions. Des chiffres étalés avec l’impudeur de l’obsession économique qui nous habite, et qui me ramènent à ma chronique de la semaine dernière qui traitait de la place – quasi inexistante – de la culture dans les programmes et discours des différents partis politiques. Mais plus encore, de la raison de cette absence.

Ce budget a aussi un aspect politique, disait Bernard Derome, lundi soir, dans un des liens bancals dont il a le secret pour nous mener d’une nouvelle à l’autre. Un aspect, un volet? Mets-en, Bernard. La politique est essentiellement économique, le plus souvent réduite à des budgets, des transferts, de la péréquation, à la fiscalité. On s’y méfie des idées qui divisent, on leur préfère le fric qui rassemble les individus, fédérés sous la bannière de cette obsession collective.

André Boisclair a eu beau étaler ses connaissances en la matière en même temps qu’il en profitait pour miner la crédibilité de Mario Dumont, l’attaquant sur son ignorance concernant la marge de manoeuvre du Québec, c’est quand même aussi le fric et la réduction de la politique à des notions économiques qui risquent le plus d’avoir raison de l’option souverainiste à moyen terme.

Et le règlement du déséquilibre fiscal – même temporaire – pourrait justement agir comme une véritable volée de plombs dans l’aile molle des nationalistes québécois. Justement celle qui déterminerait, lors d’un référendum, l’avenir du Québec.

Veux, veux pas, même si le Québec subit toujours le paternalisme éhonté d’Ottawa, la reconnaissance du Québec comme nation et ce rééquilibrage de la fiscalité dans les relations fédérales-provinciales viennent cruellement miner le discours des péquistes. Un discours qui, depuis de nombreuses années, tient justement dans cette idée de déséquilibre, d’injustice. Un discours dont les assises ont glissé, avec les années, de la différence culturelle vers la différence économique. Un discours qui dit essentiellement une chose: il faut contrôler l’argent, le reste suivra.

Mais encore faudrait-il qu’il reste autre chose.

Les libéraux et leur hystérie anti-séparatisse écartés, ne reste plus que quelques chroniqueurs débiles pour venir titiller la fibre nationaliste dans ses fondations: le mépris du ROC pour l’incongruité que représente le Québec dans ce grand pays disloqué.

Le Québécois, plus occupé à freaker sur son pouvoir d’achat que sur son identité. Le Québécois, fatigué de se battre, de se chicaner. Le Québécois, convaincu que La Poule aux oeufs d’or et Éric Salvail sont les gardiens de son intégrité culturelle. Le Québécois se contrecrisse de plus en plus de la question nationale en dehors des questions économiques.

Et on pourra difficilement lui faire porter tout le blâme.

"Un Canada plus fort, plus sécuritaire et meilleur", titre le communiqué envoyé par le gouvernement canadien pour vendre aux médias les vertus de son tout récent budget.

Meilleur? Meilleur qu’avec le gouvernement précédent, veulent-ils probablement dire.

Encore faudrait-il qu’on s’en souvienne.

L’amnésie est une maladie contagieuse qui affecte des populations entières. Elle permet à des gouvernements de faire oublier, en moins d’un an, les trois ans d’errances qui ont succédé à son élection. Elle permet à des partis politiques de faire oublier en quelques jours les déclarations outrageuses de candidats qui flirtent avec la débilité profonde.

Cette amnésie permet même de faire oublier que nous avons déjà été hantés par autre chose que la création de la richesse.

C’est en cela que la culture est essentielle, primordiale, mais qu’elle est aussi l’antithèse de la politique qui pontifie, proclame, réécrit l’histoire à son profit, tandis que la culture doute, se souvient, rappelle à notre mémoire les erreurs, restituant toutes ses horreurs au besoin. Mais le plus souvent, cette culture se contente de chuchoter d’étranges choses à l’oreille de l’homme, comme cette bizarre d’idée voulant qu’il soit plus qu’une bouche à nourrir.

Avoir une vision de la culture, pour nos politiciens, cela n’a rien à voir avec une soviétisation des arts, rien à voir avec la paranoïa voulant qu’il s’agirait de dicter quel livre doit être lu, ou écrit, comme le suggérait Nathalie Petrowski dans un de ses papiers. Et la valeur de cette vision ne se mesure pas qu’à l’aune des budgets alloués à ce ministère.

Avoir une vision de la culture, c’est une sensibilité. C’est percevoir les habitants d’un pays, d’une nation, comme autre chose que des contribuables et des payeurs de taxes, mais aussi comme des citoyens, des humains. C’est vouloir leur proposer autre chose qu’une job dans la vie.

Avoir une vision culturelle et la défendre, c’est finalement là qu’est le véritable courage politique, puisqu’il s’agit d’aller à contre-courant de l’air du temps afin que, au risque de me répéter, l’intelligence et la beauté trouvent leur place au sein d’une dictature économique qui monopolise l’attention.

Mais peut-être suis-je un peu naïf?

Alors avoir une vision de la culture est une naïveté nécessaire.