Société

Pop Culture : Lutte à trois

Drôle de campagne. Du haut de ma jeune carrière de citoyen – il faut dire que je n’ai pas l’expérience d’un nombre très impressionnant d’élections -, c’est pour moi une campagne électorale particulièrement étrange qui tire à sa fin.

Je m’en vais voter avec l’impression de marcher parmi les ruines et les délabrements d’un champ de bataille ayant accueilli des combats particulièrement dévastateurs.

Parce que, depuis que je vote, je n’ai à peu près connu que des campagnes très polarisées, souvent prévisibles. Il est vrai que lors de la dernière élection provinciale, l’ADQ avait surpris avant que sa balloune, gonflée par les sondages, ne se désouffle dans un bruit de sifflante flatulence.

Or, cette fois, les trois partis se donnent encore du coude à quelques jours du vote.

Nous n’avons pas l’habitude de telles luttes à trois. Pour illustrer mon sentiment, j’ai imaginé un amateur de hockey arrivant devant une patinoire triangulaire où se rencontreraient trois équipes. Même en connaissant les forces et les faiblesses de chacune d’elles, impossible de prévoir le dénouement de ce threesome-hockey.

Ou alors, le sportif de salon syntonisant sa chaîne de prédilection et y découvrant un ring où se démèneraient trois boxeurs, la politique tatouée sur le coeur. Quand l’un des poids lourds réussirait à porter un bon coup à un adversaire, le troisième boxeur serait prêt à lui enfiler un uppercut sous le menton, le sonnant fortement malgré son fabuleux jeu de pieds, juste avant de se voir à son tour asséner un crochet, de la droite ou de la gauche, selon les aptitudes de l’assaillant. Coup de théâtre, les trois coups sont frappés – et les trois athlètes, sonnés.

J’ai eu beau suivre la campagne depuis ses débuts, dans la même ambiance électrisante que d’autres qui préfèrent suivre le hockey, la boxe, le soccer, le water-polo ou le curling. Les chips, la bière, le confort du divan; j’ai applaudi, je me suis senti révolté, j’ai ri et je me suis choqué. Et nous voilà dans les séries finales. Ce sera serré. Très serré. Je ne gagerais pas ma paye sur le résultat des élections.

N’appelez pas lundi soir. Je serai occupé.

Et peu importe si je gagne ou non mes élections. Si vous gagnez les vôtres ou non.

Et peu importe si on se retrouve avec un gouvernement minoritaire. La tripartition du pouvoir ne me fait pas peur – il me semble même qu’un gouvernement tripartite est plus démocratique. Je me dis que trois têtes valent mieux qu’une.

Ou peut-être devrait-on dire, même s’il ne faut pas danser plus vite que le violon, que dans la gigue politique québécoise, trois pieds valent mieux qu’un?

ooo

DU CYNISME

Me voilà cynique pour la forme, juste parce que ça peut être drôle, parfois. Mais je ne le suis pas vraiment. En fait, ce qui m’inquiète le plus à mesure que se déploie ma conscience citoyenne, c’est justement le cynisme immodéré des jeunes gens de ma génération. Trop souvent, toutes les raisons sont bonnes pour ne pas voter. J’ai peur qu’on ne prenne jamais le pouvoir qui pourrait nous revenir, que ma génération laisse constamment le pouvoir dans les mains d’une autre.

On pourrait se laisser croire que ça changera. Mais on aura beau faire des conférences, toutes sortes de cours d’éducation à la citoyenneté, des appels au vote dans les médias, l’intérêt pour la démocratie ne peut pas être uniquement une affaire d’institution.

Comme l’amour inconditionnel de la langue, la fierté de l’acte démocratique ne s’apprend que sur le terrain, dans la vie de tous les jours. C’est une passion, ça se partage.

Alors mon fils et moi, nous nous exerçons à tracer de beaux X bien droits en attendant le jour du vote. Il ne pourra pas connaître le vide fugitif de l’isoloir – seul lieu, peut-être, de véritable liberté – avant plusieurs années. Mais il aura vu avec son père les longues files de citoyens qui se sont imposé cet intermède démocratique dans leur journée du 26 mars.

Il m’aura vu patienter, peut-être las d’attendre, dans l’odeur humide des bottes, parmi le grommellement de l’attente partagée… Et plus tard, il aura vu mon sourire de satisfaction mal contenue après avoir fait mon devoir de citoyen. Il sera intrigué par ces boîtes scellées qu’on protège comme des trésors, impressionné peut-être qu’on donne autant de valeur à un bout de papier qu’il m’aura vu y déposer. Pour lui, le scrutin ne pourra être qu’un objet secret paré des plus belles dorures.

J’ose espérer que c’est là que ça commence. Lorsque vous irez voter, lundi, soyez accompagné. De vos enfants, surtout. Mais offrez aussi à vos voisins, votre famille, de vous accompagner. Même si vous n’êtes pas nécessairement d’accord. L’important, c’est de raffermir une démocratie devenue un peu lâche avec le temps.