Flabbergasté, le Québec au grand complet s’est couché avec la mâchoire qui traînait jusqu’à terre. Même les analystes, même ceux qui ont voté pour lui, même Jeff Fillion, même le papa de Mario n’en revenaient pas, tandis que l’ADQ célébrait son bonheur, son allégresse dans le chic décor de l’hôtel Universel de Rivière-du-Loup.
Pour peu, on aurait versé une larme tellement c’était beau.
Quelques heures plus tôt, pendant que les tites madames regardaient TVA pour s’y délecter de chaque apparition du beau Alexis Deschênes et sa gueule d’angélique P’tit Prince de St-Ex, on n’en pouvait plus de lire sur son visage et d’entendre de sa bouche la surprise de Bernard Derome qui, comme le reste de la nation nouvellement reconnue, n’en revenait juste pas lui non plus. "Ah ben coudonc", a-t-il laissé tombé une cent-cinquantaine de fois en prenant acte des résultats, alors que Lisa Frulla, son invitée sur le plateau, restait sans voix: moment de grâce télévisuelle en pleine fin du monde politique.
Comme quoi les fins du monde ont du bon. D’abord, elles font taire les imbéciles, ce qui est, savourez le paradoxe, délicieusement providentiel. Mais les fins du monde provoquent aussi d’édifiants actes de contrition et autres témoignages d’humilité auxquels n’échappent pas les géants qui voient leurs pieds d’argile s’effriter subitement. En cela, le tsunami adéquiste de Super Mario est sans l’ombre d’un doute le triomphe de tout ce que la politique recèle de petit, de minable, de racoleur, de démago, mais elle nous aura aussi donné l’occasion de voir Charest descendre du détestable piédestal du haut duquel il fait des pieds de nez depuis quatre ans, et d’effacer le sourire narquois de la gueule d’un Boisclair non pas dépité, mais carrément débâti. Et bientôt décapité, bien qu’il prétende le contraire.
Mais trêve de méchancetés…
Je ne me rappelle plus qui a écrit que cette campagne électorale serait en quelque sorte référendaire. Que les Québécois, au fond, voteraient oui ou non. C’était loin d’être une bête idée, d’autant qu’il en est toujours un peu ainsi.
Sauf que cette fois, finalement, ils ont dit "noui". Ou était-ce "ouon"?
Alors que j’écris ces lignes, tout ce que le Québec compte d’analystes, de stratèges, de politologues, d’intellectuels, de politicailleux et de chroniqueux se bat les neurones afin de trouver l’explication la plus valable au succès de l’ADQ.
Et eux le font dans le calme. Loin du désespoir criard de tout un pan d’une génération de boomers péquistes ou libéraux complètement atterrés, leurs propos témoignant de ce mélange d’impuissance et d’incrédulité qui les habite en ce rude lendemain de veille. Ils ne se reconnaissent juste pas dans ce Québec-là, disent-ils, les bras ballants, le regard vide. Ils ne comprennent pas la colère dont parle tout le monde. Ils ont un peu l’impression qu’on est en train de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Chose certaine, cette victoire adéquiste, c’est un peu la fin des grandes idées. La fin des rêves, des utopies. Et peut-être l’avènement d’une sorte de mollesse de l’esprit, une ère où les idées politiques auront le charme, la grandeur et la finesse d’une liste d’épicerie, mais surtout, sa simplicité. Pour régler les problèmes scolaires? Un bulletin chiffré. Pour améliorer le sort des vieux? Une commission d’enquête. Pour en finir avec la dualité fédéraliste-souverainiste? Une vision autonomiste qui, sans être définie, réussit à charmer par sa seule nature de troisième voie, d’alternative à l’historique confrontation.
Bon, remarquez, on est évidemment là dans la pensée magique qui caractérise les campagnes électorales et les promesses qui les garnissent, mais avec cette adhésion massive aux idées "de changement" de l’ADQ, on est surtout dans l’illustration d’une profonde indécision sur la nature de la société dans laquelle nous vivons, dans laquelle nous voulons vivre.
Adhérons-nous encore au modèle québécois? Noui… Voulons-nous encore remettre sur la table la situation du Québec dans la fédération canadienne, et, pour reprendre l’insupportable formule de Boisclair, dans le concert des nations? Ouon… Faut-il utiliser l’argent du budget Flaherty pour baisser les impôts des particuliers? Noui… Le privé est-il une solution aux problèmes du système de santé? Ouon…
Le Québec est divisé, ont répété les nombreux observateurs.
Disons qu’il est surtout drôlement mêlé.