L’Association multiculturelle d’improvisation : Petite impro entre AMI
La Ligue nationale d’improvisation se donne un coup de jeune et lance du même coup l’Association multiculturelle d’improvisation en signal fort pour la Journée internationale contre le racisme.
D’origine guatémaltèque, haïtienne, cambodgienne, marocaine, et tous Québécois, ils se retrouvent régulièrement depuis un mois sur la patinoire pour s’entraîner aux joutes verbales dans la plus grande tradition de la Ligue nationale d’improvisation. Avec une nuance: ils ont de 17 à 20 ans, sont cégépiens et n’ont jamais suivi de cours de théâtre, ni même pensé à devenir acteurs. Leurs matchs se déroulent sur l’heure du dîner… entre deux cours. Leur ligue a son propre libellé: AMI, pour Association multiculturelle d’improvisation, une initiative originale de la LNI qui vise à regrouper, par le biais d’une activité d’échange et de création, des jeunes issus des différentes communautés culturelles.
L’idée n’est pas toute neuve. Il y a 10 ans, des matchs avaient été organisés aux cégeps d’Ahuntsic et de Rosemont dans le cadre d’ateliers encadrés par la LNI. Déjà l’objectif était de décloisonner en proposant un espace de discussion et de création. L’opération avait eu un impact positif, selon Yvon Leduc, co-créateur et directeur général de la Ligue, qui a donc décidé, il y a un an, de remettre ça, en tablant cette fois-ci sur le plus long terme. Le projet prévoit deux phases. La première concerne une douzaine d’étudiants et débouchera sur une série de quatre matchs d’improvisation devant le public des deux collèges dans les semaines à venir. La deuxième vise l’implantation, dans les trois prochaines années, de l’AMI dans l’ensemble des cégeps de l’île de montréal. Le but: créer des ponts: "Nos motivations sont avant tout de contrer le racisme et d’améliorer la communication interculturelle", commente Yvon Leduc. Raison pour laquelle le projet n’a été annoncé que la semaine dernière, lors de la Journée internationale contre le racisme.
"MA CABANE À SUCRE"
Et ça marche. Pas franchement portés sur une carrière théâtrale, les 12 jeunes, issus de formations diverses et entraînés depuis un mois par Didier Lucien et Daniel Malenfant, s’en donnent à coeur joie dans le registre de la non-compréhension. Sur le thème de "ma cabane à sucre", une jeune d’origine guatémaltèque, dans la peau d’une Arabe, apporte son cochon halal; sur le thème de "mon monde idéal", un jeune d’origine haïtienne imagine un monde peuplé seulement de Noirs, où les Blancs travailleraient dans les champs de coton. "L’humour permet de tout extérioriser, et souvent ce sont des réalités qui s’expriment. Ça peut déclencher des discussions parmi les spectateurs et les étudiants, mais c’est plus intéressant que de se taper sur la gueule", note Yvon Leduc. On échange avec un langage parfois particulier: "Hier, dans l’impro, tout le monde parlait le langage hip-hop. Je me suis aperçu qu’il existait plus de mots que yo. J’apprends moi aussi des choses!" lance-t-il en riant.
Cette spontanéité ravit Didier Lucien, qui s’est improvisé entraîneur pour l’occasion: "Les jeunes sont au-delà de mes espérances. Ils parviennent à incarner des personnages de manière différente de ce qu’on voit habituellement, sans créer de clivages." La lourdeur pédagogique est évacuée: "L’intérêt, c’est d’agir comme s’il n’y avait pas de message à faire passer. Lorsqu’ils sont sur la glace, ces jeunes n’ont pas de poids social à porter sur leurs épaules. Ça libère pas mal tout le monde!" Libérés, mais pas des règles du jeu, qui sont les mêmes que celles de la LNI, ni des impératifs du travail en groupe: "Pour qu’il y ait cohésion, il faut qu’ils parviennent à jouer seuls, à deux ou en groupe. Ce qui est important, c’est l’écoute." Le reste dépend du talent des apprentis improvisateurs, qui découvrent pour certains un monde jusqu’alors inaccessible.
Jeffrey Jocelyn, étudiant d’origine haïtienne au cégep d’Ahuntsic, est de ceux-là: "Quand je regardais les matchs d’impro, je ne voyais que des Québécois. Je pensais que ce n’était pas pour moi. Quand on m’a proposé cet atelier, je me suis dit que ce serait bon pour moi, pour m’habituer à parler en public, à communiquer. Mais c’est surtout la thématique sur le racisme, la discrimination, qui m’a intéressé. Quand tu regardes l’impro, c’est rare de voir un Noir imiter un Noir. Quant aux téléromans, ils ne reflètent jamais la réalité: dans la vraie vie, tu n’entendras jamais un Espagnol parler un gros joual ou un gros anglais, ou encore un Haïtien parler québécois. Moi, quand je dois jouer le rôle d’un Arabe, je parle comme mes copains arabes. Il ne faut pas toujours suivre les règles!"
Pour plus d’information: www.lni.ca