15 événements pour 15 ans
L’exercice est imparfait. Comment choisir sans se tromper, sans oublier? Impossible. Toujours téméraires, nous proposons tout de même cette liste de 15 événements, artistes ou manifestations culturelles qui ont marqué l’équipe présente, et quelques anciens de notre rédaction.
LEPAGE: ÉVÉNEMENT PERMANENT
Consulter la feuille de route de Robert Lepage impressionne toujours. On a beau connaître l’artiste audacieux, de stature internationale, on reste chaque fois bouche bée devant la variété et la richesse de ses créations, l’ampleur de leur diffusion et l’inventivité de ses nombreux projets. Invité, acclamé partout en Amérique, en Europe et en Asie, Robert Lepage garde les pieds à Québec. Installé ici, il revient régulièrement à la Caserne Dalhousie, inaugurée en 1997, lieu de création et de diffusion de sa compagnie multidisciplinaire Ex Machina (1993), qui accueille aussi d’autres compagnies. Au cours des 15 dernières années, à Québec, Lepage signe nombre de spectacles, présentés aussi en tournée mondiale. Parmi eux, des Shakespeare: Coriolan, Macbeth, La tempête, Le songe d’une nuit d’été; des créations: Les sept branches de la rivière Ota, Zulu Time; des solos: Les aiguilles et l’opium, La face cachée de la lune, Le Projet Andersen. Durant la même période, il réalise cinq films dont plusieurs, tournés ici, dévoilent le visage très "filmogénique" de Québec.
La suite? Première nord-américaine de Lipsynch au printemps, à Montréal; résultats en juillet d’une étude technique révélant si le "Diamant", théâtre imaginé par le créateur, qui serait construit à même la falaise, dans la caverne dormant sous l’autoroute Dufferin, pourra voir le jour; spectacle Le Moulin à images pour le 400e anniversaire de Québec. Toujours plusieurs projets en tête, ou en chantier, Robert Lepage étonne, éblouit, et contribue, par son énergie et son imagination, à la vitalité artistique de Québec. (M. Laliberté)
SOMMET DES AMERIQUES
La culture cédait le pas à la politique. Le premier jour, la clôture tombait, la charge était sonnée, les canettes de lacrymogènes pimentées tombaient du ciel comme une terrifiante pluie de grêle métallique. La ville placardée, les flics à cran, la psychose collective à son paroxysme, rien ne laissait pourtant présager l’ampleur de la fin de semaine de guérilla contestataire qui allait s’ensuivre. Trois jours et deux nuits à arpenter la ville, à être aspergés au poivre de Cayenne, à éviter les balles de caoutchouc qui sifflaient au-dessus de nos têtes, à réaliser des entrevues, à assister à des conférences et à des concerts entre deux bains de gaz, et surtout, à croiser notre photographe Erick Labbé, qui avait capté de si belles images dans le chaos de cette fin de semaine de folie que nous décidions d’en faire une édition spéciale dont j’ai précieusement conservé une copie. Pour ne pas oublier. (D.Desjardins)
FESTIVAL D’ETE DE QUEBEC
Moments de pur bonheur et années de disgrâce, le Festival d’été est passé par toutes les émotions depuis la naissance de Voir. Malgré les récriminations générées par l’apparition du macaron obligatoire sur les sites, les quelques années d’errance nostalgique qui ont forcé la naissance d’un volet off, l’événement est demeuré le phare de la culture locale et internationale à Québec. Des noms? Des souvenirs? Il y en a trop qui se bousculent, tellement personnels, trop subjectifs. Chez nos collaborateurs, ceux de John Cale, de Youssou N’Dour, de Souchon et Bashung sont revenus le plus souvent. La force de cet événement? Imprimer des souvenirs durables constitués de musiques millésimées qui forment la trame sonore de nos étés. Me, Mom & Morgentaler dans son chaotique chant du cygne, Angélique Ionatos dans une cour du Séminaire inondée, Ben Harper massacrant une lapsteel sous la pluie, Wilco dans la moiteur d’une nuit torride… Trop de souvenirs, disions-nous… (D.Desjardins)
FC3A
Créé en 1999, en réponse à l’insatisfaction suscitée par le défunt FIFQ, qui demeurait somme toute une succursale du FFM, Images du Nouveau Monde, devenu en 2004 le Festival de cinéma des 3 Amériques, s’affirme comme LA fête du cinéma, de court et de long métrage, propre à la Vieille Capitale. Après avoir franchi le cap des 15 000 participants en 2004, accru sa notoriété grâce à la tenue de l’événement James Bond en 2006, alors que 34 % des adultes de la région disent désormais le connaître (contre 14 % avant), et après l’obtention par son organisation du prix de la Ville de Québec à l’occasion de la 20e édition des Prix d’excellence des arts et de la culture pour la saison 2005-2006, l’événement proposait cette année un nouveau volet international, pour une programmation réunissant une centaine de films de fiction et de documentaires ainsi qu’une panoplie d’activités spéciales, au gré de cinq jours de festivités. (J.Ouellet)
MÉDUSE
Au début des années 1990, Québec prenait les grands moyens pour revitaliser le quartier Saint-Roch, le coeur de sa basse-ville qui contrastait alors singulièrement avec le côté plus huppé de la haute-ville. Étrangement, c’est dans la côte d’Abraham, à la jonction même de ces deux secteurs alors dissemblables de la ville, qu’allait s’élever en 1995 le complexe de la coopérative Méduse, aujourd’hui fer de lance et vivier de la production et de la diffusion artistiques de Québec. La grande qualité de Méduse repose en effet sur le fait que le complexe sert à la fois de lieu d’expérimentation et de lieu de diffusion avec sa salle Multi. En à peine un peu plus de 10 ans, le complexe Méduse peut donc se vanter d’avoir su implanter des noms maintenant bien connus tels qu’Antitube, la Bande Vidéo et Avatar. (J.-F.Dupont)
NUITS INTERNATIONALES DE JAZZ ET DE BLUES DE QUÉBEC
Les Nuits internationales de jazz et de blues de Québec (1986-1996) ont laissé une vive empreinte dans la mémoire des jazzophiles qui ont vécu cette période. L’événement, appelé tour à tour les Nuits Bleue, puis les Nuits Black, s’est d’abord tenu dans les bars de l’avenue Cartier et du Vieux-Québec. Les années 93-96 marquent une période de maturité, et le festival a peu de choses à envier à ses pairs. En partenariat avec d’autres producteurs, Michel Cloutier offre en salle une programmation de calibre international qui permet au public de Québec de découvrir les jeunes loups de la nouvelle scène new-yorkaise (James Carter, Dave Douglas, Clarence Penn, Joshua Redman, Cassandra Wilson) et des créateurs de l’avant-garde européenne (Han Bennink, Barry Guy et le festif William Breuker Kollektief). (D.Lelièvre)
VIE ET MORT DU D’AUTEUIL
Au printemps 1992, lorsque Voir Québec fit son apparition dans le paysage culturel, une salle de spectacle faisait déjà office de Mecque pour les amateurs de musique: le bar-spectacle D’Auteuil. Pendant 10 ans, cette ancienne chapelle proposa une quantité impressionnante de concerts mémorables. En vrac: Arthur H, Jean Leloup, Daniel Bélanger, Daran et les chaises, Lhassa, Dread Zeppelin, The Tea Party, I Mother Earth, Nina Hagen, April Wine, Pag, sans oublier toute la faune de groupes locaux comme Les Cabochons, Les Secrétaires Volantes, Cherry Poppers, les Respectables, etc. Nous avions même fait coïncider la célébration du premier anniversaire du journal avec le premier concert des Colocs dans la Vieille Capitale! Puis, en 2001, la musique s’est tue. Par une nuit de Festival d’été, un mur s’est effondré bêtement. On n’y croyait pas, on se disait qu’ils allaient vite rafistoler l’édifice… Six ans plus tard, plus personne n’y croit. Puis cet été, le Kashmir a rendu l’âme, l’Arlequin aussi. Heureusement, la naissance du Velvet dans l’ancien Kashmir a jeté un baume sur nos plaies encore humides! (F.Tremblay)
QUÉBEC, VILLE DE FESTIVALS!
Pendant quelques étés mémorables, Québec a eu des allures de grande ville. Du genre de celle où s’arrêtent toutes les grandes tournées et les grands événements, du genre qui donne l’impression d’être au centre du monde pour une journée ou une soirée. Parfois les deux… C’est le cas du débarquement de la caravane alternative Lollapalooza le 7 juillet 1996. À l’annonce de l’événement par le promoteur Michel Brazeau, un collègue s’était écrié qu’il s’agissait du plus grand événement à survenir à Québec depuis l’atterrissage de Lindbergh! Le lendemain, l’enthousiasme avait fait place à un retentissant "fuck Lollapalooza, c’est rendu trop commercial". L’événement en question fut aussi une affaire d’opposés, l’argument principal étant que Soundgarden et Metallica n’appartenaient plus à l’émergence… Mais pouvions-nous blâmer les organisateurs d’avoir voulu attirer un maximum de gens avec de gros noms? Et puis à cette époque il y avait encore le Lilith Fair pour les plus néo-hippies alternatifs d’entre nous! Imaginez la déferlante: Rancid et les Ramones juste avant les groupes précités… Let’s rock indeed! (F.Tremblay)
ALIRE ET ALTO
L’une vient de célébrer son 10e; l’autre, d’abord division des Éditions Nota bene, n’est indépendante que depuis un an. Or toutes deux paraissent implantées pour de bon dans notre paysage littéraire. La maison Alire, fruit d’un pari qui semblait fou en 1996, celui de consacrer entièrement sa production à la littérature de genre, allait être propulsée à l’avant-scène en 1998 avec la parution de La Chair disparue, de Jean-Jacques Pelletier, premier tome des Gestionnaires de l’apocalypse, dont les tomes suivants n’ont fait que confirmer le succès. Le succès, Alire le conjugue aujourd’hui avec plusieurs signatures, on n’a qu’à penser aux Élisabeth Vonarburg, Francine Pelletier, Patrick Senécal… Pour leur part, les Éditions Alto ont évidemment bénéficié beaucoup de la spectaculaire réception réservée à Nikolski, en 2005, ce premier roman qui allait mériter à Nicolas Dickner une insolente liste de prix (des libraires, Anne-Hébert, des collégiens, alouette!), mais font la preuve bouquin après bouquin que leur pif n’était pas que l’affaire d’une saison. Alire, Alto, la preuve par dix que la réussite éditoriale peut s’orchestrer depuis la capitale… (T.M.Racine)
LA NAISSANCE DE LA ROTONDE
C’est Luc Tremblay, alors directeur de la compagnie Danse Partout, qui en 1996 fonde La Rotonde… sans savoir que la compagnie qu’il dirige depuis 10 ans vit son dernier souffle. La toute première saison diffusée par La Rotonde (Centre chorégraphique contemporain de Québec) est déjà à l’image de ce qu’on connaît présentement. Les chorégraphes, dont Lydia Wagerer, viennent autant de l’Europe que de Montréal et Québec. En 1997, on le sait, Danse Partout ferme ses portes. Le jeune organisme de diffusion cristallise alors l’énergie des jeunes danseurs et chorégraphes qui exercent leur art dans la capitale et qui sont résolus à y rester. Johanne Dor reprend les rênes de La Rotonde et depuis, elle propose chaque année au public de Québec sept de ses coups de coeur en mouvement. (C.Fortin)
LE GRAND DÉRANGEMENT
Au cours des 15 dernières années, l’affiche théâtrale s’est diversifiée, enrichie, pour un public élargi. Les théâtres eux-mêmes ont parfois changé de visage: rénovations importantes au Trident et au Périscope, déménagements. C’est le cas de la Bordée qui, au printemps 2002, quitte la salle de la rue Saint-Jean qu’occupent maintenant Les Gros Becs pour emménager dans son propre théâtre, tout beau, tout neuf, au coeur de Saint-Roch. En 2003, c’est Premier Acte, fondé en 1994 pour favoriser la production et la diffusion de spectacles de la relève, qui s’installe dans un nouvel espace regroupant enfin bureau, local de répétition et salle de spectacle. Pour chacun, donc, consolidation ou cure de jeunesse. (M.Laliberté)
UN JUMEAU!
En même temps que le Voir Québec, naissait, en 1992, le Carrefour international de théâtre de Québec. Reprenant le flambeau que portait la Quinzaine internationale dans les années 80, le Carrefour a présenté, jusqu’ici, huit éditions enlevantes: spectacles internationaux forts, pleins d’imagination, atmosphère conviviale et stimulante, spectateurs nombreux et ravis. À son festival biennal, le Carrefour ajoute, depuis 1997, la série Théâtres d’ailleurs, venant chaque printemps des années impaires alimenter le public curieux de spectacles étrangers. Après quelques difficultés l’an dernier, le Carrefour est en réflexion stratégique; parions que ce festival d’envergure et de très grande qualité en ressortira plus vigoureux que jamais. (M.Laliberté)
L’ÂGE D’OR DE LA CULTURE RAVE À QUÉBEC
Tandis que la presse fluo européenne s’emballe depuis quelques mois du renouveau rave, Montréal remixe mollement le concept éculé du Bal en Blanc en invitant cette année les gens à se déguiser en super-héros couleurs pâles. Au même moment, la scène rave de Québec se contente de rassemblements modestes sous l’égide d’une musique marginale. Mais il n’en fut pas toujours ainsi. C’est au tournant du millénaire que la ville de Québec a connu son zénith P.L.U.R. (peace, love, unity, respect, devise des ravers) avec des nuits poétiquement baptisées Intense, Nuit Blanche, Forever, Versus, Take Off, Lollipop, rassemblant parfois jusqu’à 4000 danseurs. En guise d’héritage de cette chouette époque, on remarque que Québec est maintenant inscrite à l’horaire de tournée des meilleurs artistes électronica et que l’usage des drogues de synthèse s’est largement démocratisé. (F.Gariépy)
L’EXPOSITION RODIN
Les plus célèbres sont venus à l’abri dans leurs caisses de bois: Le Baiser, Le Penseur, L’Âge d’airain, L’Éternel Printemps, Les Bourgeois de Calais. En juin 1998, l’exposition Rodin s’ouvre dans une rare effervescence. La plus importante exposition internationale que le Musée du Québec ait jamais connue propose 150 oeuvres de tous genres venues essentiellement de France mais aussi d’Ontario. Ce génie, parfois considéré avec dédain pour son extraordinaire popularité et donc son populisme au XXe siècle, fait recette. Sur cet excellent coup du directeur John Porter, les salles du Musée ne désempliront que plusieurs mois plus tard, dépassant les prévisions de 100 000 visiteurs. Voir fera du Baiser une couverture battant aussi des records, s’envolant à une vitesse ahurissante. (F.Desmeules)
SAINT-ROCH
L’administration municipale de Jean-Paul L’Allier s’était fixé un mandat clair: revitaliser en misant sur la culture. Avec le complexe Méduse comme porte d’entrée, un nouveau parc comme antichambre, Saint-Roch allait renaître de ses cendres. Au fil des ans, suivant entre autres l’édification de centres d’artistes et la transformation de l’ancienne Dominion Corset en pavillon des arts visuels de l’Université Laval, les institutions locales prenaient la tangente migratoire vers cet ancien no man’s land reconverti en quartier de création et de savoirs. La construction d’un nouvel édifice pour le théâtre de la Bordée rue Saint-Joseph, la reconversion de l’édifice du Soleil en locaux d’affaires abritant entre autres les studios de TQS, l’implantation de l’ENAP, d’Ubisoft et d’autres entreprises du genre viendront confirmer la tendance et faire du coin un véritable centre-ville où poussent, depuis, commerces, galeries et autres lieux de rencontre qui témoignent de cette seconde vie. (D.Desjardins)