Hervé Kempf : Éloge de la sobriété
Société

Hervé Kempf : Éloge de la sobriété

Le journaliste français Hervé Kempf montre du doigt les plus nantis dans Comment les riches détruisent la planète, un essai radical mais lucide sur l’avenir du monde.

Depuis quand traînez-vous l’idée de ce livre? Comment vous est-elle venue?

"L’idée m’en est venue assez brutalement, à la fin de l’année 2005. Je ne sais pas précisément ce qui a fait le déclic, mais j’ai ressenti alors un vif désir de publier un texte dense et énergique qui décrirait la gravité de la crise actuelle et en proposerait une explication."

Ce livre est une sorte d’éloge de la sobriété. Vous sentez-vous des affinités avec les adeptes de la simplicité volontaire? Votre réflexion diffère-t-elle de celle des tenants de la s.v.?

"Je ne connais pas la théorie de la simplicité volontaire et ne peux donc en parler. Mais le livre, effectivement, prône la décroissance matérielle, c’est-à-dire la diminution des consommations matérielles, parce que celles-ci sont le principal facteur de la crise écologique. Il faut particulièrement inciter les plus riches à diminuer leur consommation, afin de faire accepter une telle baisse par les classes moyennes et de dégager des ressources pour améliorer le sort des plus pauvres. Cette évolution sera acceptée par la société si l’on montre que des améliorations pourront ainsi être faites en matière d’éducation, de santé, de culture, de transports collectifs, d’une autre vie urbaine. Il nous faut proposer non pas un monde plus sombre, mais au contraire un monde qui, épuré des feux clinquants mais soporifiques de la consommation effrénée, permettra de ré-enrichir les relations humaines et les émotions esthétiques."

On a tendance à dire que la conscience environnementale est une préoccupation de riches. Au Québec, un livre fort populaire paru récemment (Éloge de la richesse) tient précisément le discours contraire au vôtre: pour que l’on ait les moyens financiers de répondre aux défis environnementaux, il faut à tout prix améliorer les conditions propres à la création de plus de richesse (individuelle ou collective). Que répondez-vous à ce genre de position?

"Je ne connais pas ce livre, je vais le lire. Mais l’idée que les riches seraient plus soucieux d’écologie que les pauvres est démentie par les faits: quel que soit le paramètre analysé (émissions de gaz à effet de serre, production de déchets, espace artificialisé occupé, consommation d’eau, production de produits chimiques, etc.), les pays riches sont toujours plus pollueurs, et ce fait est encore plus frappant si on rapporte la pollution à chaque individu. Sur le plan théorique, les économistes ont discuté des "courbes environnementales de Kuznets", qui affirment que jusqu’à un certain point, la croissance entraîne un surcroît de pollution, puis permet de diminuer celle-ci. En fait, il est apparu nettement que cette théorie ne se confirme pas dans la réalité. Dans les conditions actuelles, l’enrichissement se traduit toujours par plus de dégradation environnementale."

Vous parlez de "pauvreté écologique". De quoi s’agit-il?

"La pauvreté ne se traduit pas seulement par un faible niveau de revenu, mais aussi par des conditions environnementales d’existence dégradées: ce sont d’abord les pauvres qui vivent à côté des zones industrielles, le long des autoroutes, qui subissent le plus les pollutions de l’eau, ce sont eux dont l’environnement paysager et végétal est le plus médiocre. À l’échelle planétaire, les populations les plus pauvres d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine subissent d’abord les premiers effets du changement climatique et de la perte de la biodiversité. Cette "misère écologique" n’est pas facile à mesurer, mais elle est très concrète et importante."

Croyez-vous que votre proposition "d’abaisser les riches" soit utopique?

"Non, elle est au contraire très réaliste parce que c’est une nécessité de l’époque. Tout le monde est capable de comprendre qu’il est non seulement anormal et injuste, mais explosif pour la stabilité sociale que les 500 personnes les plus riches du monde aient autant de revenu que les 416 millions les plus pauvres (chiffre donné par le Programme des Nations Unies pour le développement). Cela ne signifie pas que le dégonflement de la couche des hyper-riches sera facile, mais c’est une perspective politique importante. La fiscalité est un levier important de la politique publique. Il faut ainsi instaurer ou restaurer la taxation progressive des revenus, refuser la concurrence fiscale (par exemple, entre pays européens), relancer la chasse aux paradis fiscaux, réfléchir à l’idée d’un revenu maximal admissible. Et en même temps, il faut insister que, si l’on fait cela, c’est à la fois pour restaurer la justice sociale et pour dégager des ressources permettant de mener des politiques écologiques et sociales utiles à tous."

Comment les riches détruisent la planète
D’Hervé Kempf
Seuil, collection L’Histoire immédiate, 147 p.

En conférence le mardi 10 avril à 11h – Montréal
Cégep Saint-Laurent, amphithéâtre C-5, Arrond. Saint-Laurent
Entrée libre. Informations: 514 747-6521 p. 7255

Mardi 10 avril à 19h
Coeur des sciences de l’UQAM, 200, rue Sherbrooke Ouest, amphithéâtre SH-2800, Montréal.
Coût d’entrée : 8 $, 2 $ (étudiants, aînés).
Informations : www.coeurdessciences.uqam.ca
CINBIOSE, Coeur des Sciences, Institut des Sciences de l’environnement