William Reymond : Malbouffe: la pandémie
Dans une enquête troublante et haletante, qui se lit comme un polar, le journaliste d’investigation William Reymond nous dévoile la face cachée de notre alimentation. Terrifiant!
L’obésité est devenue une pandémie mondiale?
"Absolument. C’est pour cette raison que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) utilise désormais le mot de pandémie au lieu d’épidémie pour résumer l’ampleur de la crise mondiale d’obésité. Il n’y a aucun État au monde où l’obésité n’est pas en augmentation. Jusqu’aux pays en voie de développement, où l’épidémie se propage aussi à une allure vertigineuse. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’Afrique noire n’a pas été épargnée par ce fléau. La pandémie sur le continent africain ne signifie en rien que les problèmes de malnutrition ont été réglés. On continue à mourir de faim dans les contrées africaines ravagées par la famine et le SIDA, mais, écoeurante nouveauté, on y meurt également en mangeant trop ou mal! En Chine et dans les autres pays asiatiques, la pandémie d’obésité bat aussi son plein. Alors que la population chinoise a été longtemps considérée comme celle ayant le mode alimentaire le plus équilibré de la planète, elle est désormais au bord de l’implosion. L’obésité et la surcharge pondérale touchent même un Chinois sur 5, soit 215 millions de personnes. Au Japon, depuis 1982, le nombre d’obèses a augmenté de 100 %… La pandémie est aussi solidement installée en Europe où l’on frôle déjà le taux effarant de 30 %, que connaissent les États-Unis depuis plusieurs années – d’après les experts, l’Amérique atteindra dans quelques années le taux de 50 % d’obèses. En Amérique du Nord, la pandémie n’épargne personne."
Au Canada, ce problème a pris aussi des proportions alarmantes.
"Oui. D’après une enquête réalisée en 2004 sur la santé des collectivités canadiennes, 23 % de la population est obèse. Plus précisément encore, l’étude "Différences régionales en matière d’obésité" démontre que cette catégorie regroupe presque un tiers des Canadiens vivant en milieu rural, contre 20 % des résidants des grandes villes. Au Canada, l’épidémie d’obésité va poser un problème beaucoup plus grave qu’aux États-Unis, car c’est le système social canadien qui devra assumer entièrement la charge financière du traitement médical des nombreuses maladies engendrées par l’obésité: diabète, mauvais cholestérol, crises cardiaques… De plus en plus de jeunes Canadiens souffrent de diabète. Ces derniers devront être pris en charge par le système médical au cours des 30, 40 ou 50 prochaines années. La progression fulgurante des maladies liées à l’obésité finira par faire exploser les systèmes médical et social canadiens. Il y aura donc au Canada, tôt ou tard, un réveil des consciences. La majorité des pays européens sont confrontés aussi au même scénario."
Vous démontrez dans votre livre que le système économique libéral, ayant comme seul impératif le tout profit, aggrave ce fléau.
"Tout à fait. L’exemple de ce que j’appelle le burger à 99 cents est le plus frappant. On pense que l’obésité est un problème personnel, alors que c’est la résultante d’un choix social et de l’absence de volonté politique. On a bâti un système économico-capitaliste dont on paye chèrement le prix aujourd’hui. C’est un système basé sur les coûts indirects. Une viande qui coûte au consommateur 99 cents a des tas de coûts indirects qui sont supportés par la société. Le système agricole a produit d’énormes surplus de maïs qui servent aujourd’hui à nourrir du bétail, qui, à son tour, devient une viande bon marché, et à produire des milliards de litres de jus de glucose-fructose, que l’on retrouve dans une myriade d’aliments et de boissons sucrés. La culture du maïs monopolise 57 % de la production totale des herbicides et 43 % des pesticides. Les vaches ne mangent plus de l’herbe mais du maïs pullulant de bactéries, qui se retrouvent ensuite dans nos assiettes. Ces élevages industriels créent de la pollution. Nous sommes empêtrés dans ce cercle vicieux. On parle beaucoup ces temps-ci d’environnement, mais il faudrait aussi parler de l’environnement alimentaire. Ces deux notions sont indissociables."
D’après vous, les gouvernements sont plutôt impuissants face à ce problème.
"Il y a une absence flagrante de volonté politique. Traiter ce grave problème à fond, ça voudrait dire qu’il faudrait traiter aussi les politiques agricoles. Or, les gouvernements sont très réfractaires à l’idée de revoir leurs politiques agricoles, car ils ne veulent pas se mettre à dos le puissant lobby industriel agricole. On préfère laisser faire et continuer à mettre des pansements sur des jambes de bois, c’est-à-dire lancer des campagnes contre l’obésité. "Il faut que vous mangiez moins de graisse et plus de fruits, que vous fassiez plus de sport…", ce sont des conseils pleins de sens mais absolument insuffisants face à la gravité de la situation. Tous les experts sur cette question vous le diront, ce n’est pas la solution."
Peut-on vraiment endiguer cette pandémie?
"Le Danemark a adopté une législation radicale pour interdire l’utilisation des acides gras trans. New York suivra bientôt l’exemple danois. L’huile partiellement hydrogénée, que l’on change deux fois moins souvent qu’une huile sans acides gras trans, qui permet une conservation plus longue des aliments et dont le prix d’achat est très bas, est catégoriquement interdite au Danemark. Les effets de cette huile sur la santé sont dévastateurs. L’exemple danois et bientôt l’exemple new-yorkais montrent qu’une fois contraints, les industriels s’adaptent, sans même augmenter le prix de vente de leurs produits. La réponse à ce problème n’est ni individuelle ni industrielle, mais politique. Aujourd’hui, beaucoup de gens se rendent compte qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le système. Il y a une vraie volonté populaire pour changer les choses. Je crois que, tôt ou tard, soumis à une pression populaire de plus en plus forte, les politiques n’auront pas d’autre choix que d’agir."
Toxic. Obésité, malbouffe, maladies: enquête sur les vrais coupables
de William Reymond
Éditions Flammarion, 2007, 351 p.