Société

Desjardins : Les rats

C’est la vertu au service de l’exclusion. L’obsession de la santé qui flirte avec la maladie mentale. La manipulation de l’opinion publique déguisée en gros bon sens.

Car soyez certains d’une chose, les propriétaires d’immeubles qui souhaitent obtenir la permission d’interdire la location de logements à des fumeurs n’en ont rien à faire de votre bien-être. Vous pouvez vous gaver de bacon, ne jamais sortir de chez vous, regarder 90 heures de télé par semaine, boire des litres d’antigel, vous shooter au Windex et sniffer des kilomètres d’Ajax si cela vous chante, dans la mesure où vous n’endommagez pas leur propriété, payez rubis sur l’ongle et n’avez pas l’indécence de mourir d’une overdose dans votre appartement, vous n’entendrez jamais parler d’eux.

Remarquez, c’est très bien ainsi. On a assez d’une mère pour nous picorer la conscience.

Pourtant, quelques bienveillants propriétaires voudraient nous interdire de fumer chez eux – qui est un peu chez nous aussi quand même – arguant qu’il en va du bien des locataires des logements adjacents à ceux de fumeurs, ces pollueurs qui répandent leurs milliers de produits chimiques dans l’air que respirent leurs voisins.

Par où passe cet air vicié qui viendra vous ruiner la santé, demandez-vous? Mais il entre de partout, mes pauvres amis. Par-dessous la porte, par les fentes dans les murs, par les prises électriques, si on en croit les plus excités de la santé publique.

Petit bijou d’alarmisme de la part de ceux qui veulent notre bien, le texte d’opinion de Fernand Turcotte – professeur de médecine préventive à l’Université Laval – que publiait La Presse la semaine dernière (jeudi, 5 avril 2007, p. A29) est non seulement un véritable morceau d’anthologie de l’hystérie concernant la fumée secondaire, mais il est aussi le parfait exemple du mépris qu’entretiennent les hygiénistes sociaux concernant ce travers de leurs concitoyens.

"Il faut applaudir la clairvoyance des locateurs qui ont compris qu’arrive rapidement le moment où leurs locataires demanderont des logements protégés de la fumée tout comme ils exigent aujourd’hui que leur domicile soit exempt de coquerelles et autres vermines", conclut M. Turcotte.

Parenthèse préventive: vidons immédiatement le sujet de toute potentielle crise de rétention anale chez les médecins, mamans, mamans-médecins et autres preux défenseurs de l’intégrité morale et physique de leur prochain: fumer, c’est juste… mal. Ça pue, tu tousses comme un dératé, ton haleine sent le goddamned, t’as les dents jaunes, et si t’arrêtes pas, tu choperas sans doute le cancer du poumon dont t’as toutes les chances du monde de crever dans des conditions dégueulasses. Fumer est nocif, c’est entendu, fin de la parenthèse.

Mais de la vermine? Des coquerelles? Et pourquoi pas dire que les fumeurs ne sont pas autre chose que des rats? Des rats qui se retrouvent évidemment en plus grand nombre dans les milieux les plus pauvres, préciseront les doc Mailloux de ce monde, puisqu’ils y prolifèrent, se reproduisent, engendrent d’autres rongeurs qui toussent.

Et comme ils font bien du millage, on les retrouve même dans les quartiers huppés.

Comme chez ces amis que j’ai, Monsieur le Professeur, des gens tout ce qu’il y a de bien. Profession libérale tous les deux, beau couple, parents aimants, belle grande maison. Sauf qu’il leur arrive, certains soirs d’hiver, de fumer sous le ventilateur de la cuisinière quand leurs enfants dorment à l’étage du haut. Faut-il que j’appelle la DPJ tout de suite ou vous vous en chargez?

En fait, pour revenir à vos propos, il n’y a qu’une chose d’admirable dans cette demande de la part des propriétaires de logements, et c’est leur sens du timing.

Tous les proprios vous le diront, il n’y a pas grand-chose de pire que de tenter de louer un appartement qui était occupé par des fumeurs auparavant. Murs jaunis, tapis imprégnés de l’odeur de tabac froid, la chose est repoussante et éloigne de nombreux non-fumeurs de ces logements autrement attirants.

Le génie des proprios est d’avoir su profiter de cette potentielle faille du droit qu’opère l’opinion publique, celle qui applaudit à tout rompre chaque fois que l’on interdit l’accès aux fumeurs où que ce soit. Cette même opinion publique qui se contrecrisse des polluants que crachent les cheminées des usines juste derrière la maison pour la simple raison que, cette pollution-là, on n’en a pas encore fait un symbole.

La cigarette, elle, est une image puissante, on peut la voir, la désigner, la montrer du doigt. On en connaît parfaitement l’odeur, facilement identifiable.

Opportunistes, mais pas débiles du tout, les proprios savent jouer de cette intolérance, de cette corde devenue très sensible pour tenter d’équarrir les angles du droit à leur profit. Cons comme des manches, les ayatollahs de la santé publique sautent à pieds joints là-dedans et nous la jouent encore comme les insupportables curés qu’ils sont devenus.

Je précise, persiste et répète: cons comme des manches, puisqu’ils ont transformé la santé en morale, leurs études sur la fumée secondaire en religion, et qu’ils sont prêts à tout pour convertir le monde entier. Y compris à les priver d’un logement ou à les confiner aux quelques taudis où l’on consentira encore à les laisser fumer.

Des trous à rats, tiens.