Fabrice de Pierrebourg : Montréal, capitale islamiste?
Montréal est-elle devenue un sanctuaire du terrorisme islamiste? Le journaliste d’investigation Fabrice de Pierrebourg, auteur d’une grande enquête sur la mouvance islamiste montréalaise qui donne froid dans le dos, répond à cette question.
D’après vous, Montréal et le Canada pourraient être bientôt la cible du terrorisme islamiste.
"Ce scénario funeste est très plausible. À observer l’ampleur de la toile islamiste montréalaise et son ancrage profond, il n’est sans doute pas exagéré aujourd’hui de parler de Montréalistan – appellation calquée sur Londonistan, désignant la capitale britannique depuis que celle-ci est considérée comme un sanctuaire du terrorisme islamiste. Montréal et le Canada pourraient être, dans un proche avenir, la cible des islamistes extrémistes. Sans être un agitateur d’épouvantails, je dis que personne ne peut certifier l’inverse. C’est tout autant irresponsable de dire que ça n’arrivera jamais que de claironner que ça va arriver demain. Je n’ai aucune preuve que des attentats terroristes seront perpétrés demain à Montréal. Mais nous devons être très vigilants. C’est vrai que nous vivons paisiblement à Montréal, dans une société qui n’est pas paranoïaque ni obsédée par le tout sécuritaire. Mais si des terroristes islamistes frappaient Montréal, imaginez la panique que ça provoquerait aux États-Unis. Les Américains considèrent comme une épée de Damoclès la présence sur le territoire montréalais d’une kyrielle d’activistes et de groupes extrémistes islamistes."
Vous avez répertorié ces activistes islamistes dans un bottin québécois du "terrorisme", de A à Z.
"Ce bottin, c’est le point de départ de ma réflexion et de mon enquête sur les réseaux islamistes montréalais. J’ai commencé à m’intéresser et à écrire sur cette question sulfureuse il y a une quinzaine d’années. L’actualité m’a ensuite donné peu à peu raison. Depuis six ans, au moins une vingtaine de Montréalais ont été cités ou impliqués dans des dossiers de terrorisme à l’échelle mondiale. Je me suis demandé alors pourquoi une petite métropole comme Montréal abritait autant d’individus impliqués, à tort ou à raison, dans des affaires terroristes. J’ai commencé à enquêter. Je me suis alors rendu compte qu’il y avait dans ce bottin québécois du terrorisme des gens connectés entre eux. Du côté policier, on m’a assuré que ces relations étroites n’étaient pas le fait du hasard."
Y a-t-il aujourd’hui à Montréal des cellules terroristes islamistes dormantes ou opérationnelles?
""Cellule dormante" est un terme policier. Moi, je préfère la définition de "cellule" employée dans le monde médical. Pour qu’elle soit fonctionnelle, il faut qu’une cellule soit établie avec une hiérarchie. D’après ce que j’ai colligé comme informations au cours de mes recherches, il n’y a pas vraiment à Montréal de cellules islamistes formelles prêtes à attaquer. Par contre, il y a des individus liés à la mouvance islamiste radicale qui se voient et se fréquentent, répertoriés et suivis attentivement par les services policiers et de renseignement canadiens, et qui sont considérés comme une menace potentielle."
Cette enquête sur l’islamisme radical à Montréal ne risque-t-elle pas d’exacerber l’islamophobie et la suspicion à l’endroit de la communauté musulmane montréalaise?
"Dès que vous enquêtez ou écrivez sur le terrorisme islamiste, on vous catalogue: vous faites partie de ceux qui sont paranoïaques et qui jettent l’anathème sur une religion et une communauté. Tout un discours visant à vous censurer se met alors en place. Force est de rappeler que la communauté musulmane n’est pas une entité monolithique ou homogène. Ce n’est pas parce que vous êtes musulman que vous êtes pratiquant, et ce n’est pas parce que vous êtes pratiquant que vous allez vers une doctrine religieuse extrémiste. On a bien le droit d’enquêter et d’écrire sur la mafia italienne sans pour autant passer pour un anti-italien. On peut écrire sur le FLQ sans se faire accoler l’épithète d’anti-québécois… Je considère que toute vérité est bonne à dire et à écrire!"
Selon vous, le Canada et Montréal sont une terre d’asile du cyberjihad.
"Absolument. Il n’y a pas de législation ferme au Canada pour interdire les sites jihadistes islamistes sur le Web. Un expert en Internet m’a dit, sous forme de boutade, que c’était au Canada qu’on trouvait les entreprises les plus performantes et les moins chères pour mettre en ligne des sites islamistes violents! Vous pouvez très facilement enregistrer un site Web et le faire fonctionner avec une carte de crédit, ça ne coûte que 5 $ par mois! La plupart des sites jihadistes, où l’on voit entre autres des décapitations effroyables et des attentats sanglants à Bagdad et en Afghanistan, sont mis en ligne par des compagnies canadiennes et américaines. J’en ai repéré quelques-unes lors de mes recherches. Le site As-Sahab, le relais de communication et de propagande d’Al-Qaida sur le Web, a transité pendant quelque temps par un petit bungalow de Winnipeg. À Montréal, deux compagnies bien connues ont hébergé aussi des sites Internet islamistes pendant quelques mois, jusqu’à ce qu’on les repère. C’est vrai qu’on ne peut pas tout surveiller, mais il faut une responsabilisation des professionnels oeuvrant dans le créneau d’Internet, sinon on laisse la porte ouverte à n’importe quel abus."
À la lecture des témoignages que vous avez recueillis auprès des différents corps policiers et de renseignement, on a l’impression que la lutte antiterroriste au Canada a connu de nombreux ratés et échecs ces dernières années.
"Au Canada comme ailleurs dans le monde, les policiers et les agents des services de renseignement sont avant tout tributaires de décisions politiques. Sur le terrain, ces derniers font bien leur travail. Mais je me suis rendu compte qu’ils manquaient cruellement de moyens. Si on veut vraiment enquêter dans cet univers nébuleux, il faut aller sur le terrain, envoyer du monde dans les communautés musulmanes, tisser des liens de confiance avec des membres de ces communautés. Ça a été la grande faillite des Américains, qui ont entamé un examen de conscience après les attentats du 11 septembre 2001. Sur le terrain, la volonté de lutter contre l’islamisme radical est tenace et ostensible. C’est dans les hautes sphères politiques qu’il y a des ratés. Les politiciens raisonnent de façon électoraliste. Par exemple, pour des raisons politiciennes et électoralistes, les députés des partis d’opposition à la Chambre des communes d’Ottawa, notamment les libéraux, ont contraint le gouvernement Harper à abolir deux clauses de la loi antiterroriste canadienne sur les détentions préventives et les audiences d’investigation."
Contrer l’islamisme radical, n’est-ce pas un dessein chimérique?
"Il faut forcément tabler sur le social, mais le social et l’intégration, c’est du long terme. Vous ne pouvez pas arrêter la discrimination à l’embauche du jour au lendemain. Tout cela va de pair avec une fermeté judiciaire et politique. Si les nouveaux immigrants n’ont pas de problèmes d’intégration, vous aurez beaucoup de mal à les convaincre d’attaquer -au sens large du terme – le pays dans lequel ils ont choisi de vivre. L’aspect social, c’est fondamental, mais ce n’est pas pour autant une raison de négliger l’aspect répressif. Pour obtenir des résultats probants, on a besoin de la carotte et du bâton!"
Montréalistan. Enquête sur la mouvance islamiste
de Fabrice de Pierrebourg
Stanké, 2007, 359 p.