Pop Culture : L’Ombre et la lumière
Depuis quelque temps, Yvan Giguère, instigateur et porteur du concours national de paroliers Chanson pour tes yeux – qui accueille, bon an mal an, plus de 2000 soumissions de textes originaux – et Luc De Larochelière, porte-parole des trois dernières éditions de l’événement, sont partis en croisade dans les médias. Ils multiplient en effet les interventions auprès de ces derniers pour faire entendre leurs revendications. En clair, ils souhaitent une meilleure reconnaissance du travail des paroliers, qui sont trop souvent éclipsés derrière les interprètes qui, eux, s’en mettent plein le gosier – et plein les poches.
Leur préoccupation a certainement le mérite d’être sincère – leur travail des dernières années en ce qui a trait à la valorisation du texte destiné à devenir une chanson en est une preuve indéniable. Je ne peux qu’acquiescer: il faut que les paroliers soient reconnus.
Parce que, pour moi, ce n’est pas le texte qui est l’outil d’un interprète. C’est l’interprète qui porte le texte.
Si certains interprètes reconnaissent ouvertement les auteurs qui leur ont mis des mots en bouche – je pense entre autres à Chloé Sainte-Marie, qui a une reconnaissance sans borne pour "ses" auteurs, morts ou vifs -, trop peu leur donnent véritablement la place qu’ils méritent, péchant par omission.
Le 23 avril, c’est la 12e Journée mondiale du livre et des droits d’auteurs. Aussi ai-je pensé élargir la réflexion pour m’attarder à la reconnaissance dont jouissent les auteurs après la publication de leur oeuvre.
LE VIOL DE LA LITTERATURE
Je construis ma vie sur des mots périssables. Chaque jour, je sais que ce que je compose est généralement destiné au recyclage. Au mieux, à l’archivage de quelque artiste, devenant une page de plus dans un dossier de presse. Au pire, à une décomposition barbare et aveugle, parmi les restes de table d’un inconscient.
Notre vie est un violent vacarme, où tonne la télé, où rugit la radio, mais où les écrivains ne crient pas, les paroliers ne parlent pas. À écouter toutes les voix qui s’épuisent dans un rapport direct à la vie – il suffit de syntoniser votre fréquence radio préférée pour en faire l’expérience -, à entendre les paroles qui s’étiolent ainsi après avoir été dites, fuyantes et insipides dans l’air meuble, on en vient à oublier la valeur des mots.
Devant ce gaspillage insensé, devant le viol de la littérature, peut-être les auteurs ne peuvent-ils que se renfrogner, se mordre le dedans des joues dans le silence de leur retraite, réécrivant pour la ixième fois la même page, le même paragraphe, la même phrase, soignant leurs mots avec une précaution qui les fera – peut-être – survivre.
Se pourrait-il que, paradoxalement, écrire oblige à faire voeu de silence?
Est-ce que chaque page écrite, chaque texte de chanson, doit nécessairement devenir un écran s’immisçant entre les écrivains et ce monde un peu gâté qui boit volontiers aux mamelles de l’image et du bruit?
Peut-être est-ce parce que les scribes ont longtemps été moines que l’on associe de facto l’écriture au mutisme. Ou parce que l’image que l’on se fait des auteurs les éloigne nécessairement d’une réalité bassement humaine. Si les morts ont une meilleure reconnaissance que les vivants, peut-être vaut-il mieux se taire pour se donner toutes les chances d’être reconnu…
Pour les auteurs, le désir d’être lu – et pour les paroliers, le désir d’être chanté – est si grand qu’ils oublient facilement le besoin d’être entendu – entendu pour vrai. C’est pourquoi je m’amourache sans retenue des jeunes maisons d’édition avec lesquelles la littérature prend corps dans le territoire, au gré des lectures publiques. C’est aussi pourquoi j’aime entendre mes mots portés par des comédiens.
Avec le slam de poésie qui envahit le Québec – c’est une invasion encore trop timide ici, malheureusement – et le nombre impressionnant d’initiatives qui permettent à la littérature d’être vive – je pense à différentes performances auxquelles on peut assister, comme les Poèmes animés (3 mai, au Côté-Cour); Mots et Merveilles (20 avril, aux Bouquinistes; 21 avril, au Côté-Cour); 3REG (25 avril, au Vibe) -, la littérature se met à parler d’elle-même, et on découvre avec fascination les hommes et les femmes qui se cachent derrière les textes.
C’est d’ailleurs très souvent un événement particulier de voir un auteur sortir de l’ombre pour faire une lecture publique, s’exposant avec cette fragilité que crée l’habitude de la solitude. C’est ce que soutenait Michèle Magny, auteure, comédienne et professeure d’interprétation, alors qu’elle donnait une formation en lecture de textes poétiques et dramatiques, la fin de semaine dernière. Cette fragilité, loin de nuire à l’oeuvre, humanise les auteurs, ancre ce qu’ils ont écrit dans un vécu, une expérience particulière du monde.
Je crois que plus une rencontre est rare, plus on doit lui accorder de valeur. La valeur d’une rencontre avec un auteur ne peut que rejaillir sur ses mots.
Je n’ai qu’un seul souhait. Que les écrits s’envolent, eux aussi, se trouvent une voix. Et qu’ainsi les auteurs restent.